La scène est digne de Hollywood. Un couple
au lit dans un quartier cossu de Johannesburg, la veille de la Saint-Valentin.
L'homme est soudainement alerté par un bruit étrange. Il croit au cambrioleur, dira-t-il
plus tard en cours, empoigne son revolver sous le lit et, croyant son amoureuse
toujours étendue à ses côtés, tire quatre coups dans la porte de salle de bain.
Bang, bang, bang, bang. Seulement, il n'y a pas de cambrioleur. Derrière la
porte, curieusement fermée à clef, il y a sa fiancée qui, selon le témoin
entendu à l'ouverture du procès cette semaine, criait "à vous glacer le
sang". Atteinte de trois balles, elle meurt peu de temps après dans les
bras de celui qu'elle décrivait comme "the one".
La chute d'un héros a toujours quelque
chose d'irrésistible et de fascinant. Celle de l'athlète paralympique sud-africain,
Oscar Pistorius, l'homme dans cette histoire, ne fait pas exception.
Que s'est-il réellement passé au petit
matin du 14 février 2013? C'est la question que devra trancher la juge Thokozile Masipa à l'issue d'un
procès qui n'est pas sans rappeler celui du footballer américain, O.J. Simpson,
en 1995. Deux célèbres athlètes accusés d'un crime inimaginable, le meurtre de
leur bien-aimée, deux procès "du siècle", en proie à une opinion
publique totalement polarisée: d'un côté, ceux qui veulent à tout prix croire
en l'innocence de leur héros, de l'autre, ceux qui en ont marre des héros qui
se croient tout permis.
Je suis plutôt du deuxième camp. Bien sûr,
comme d'autres, je ne suis pas prête d'oublier la course de Pistorius aux Jeux
de Londres en 2012. Juchés sur ses
prothèses en fibre de carbone, le premier athlète handicapé à être admis dans
le cénacle olympique, le dénommé Blade Runner semblait venu d'une autre
planète. Même en finissant bon dernier, l'exploit était inimaginable. Amputé
aux genoux à l'âge de 11 mois (Pistorius est né sans fitibula, l'os principal
des bas-jambes), on peine à s'imaginer le chemin parcouru.
Mais derrière l'image de l'homme qui a
échappé à son destin, il y a celui de fils à papa (son père est un riche propriétaire
minier), féru d'armes à poing, de voitures sport et d'émotions fortes. L'homme
de 27 ans a connu toutes sortes de tumultes depuis 10 ans: il a foncé sur un
quai, passablement éméché, en bateau à moteur, tiré un revolver en plein
restaurant, menacé de casser les jambes à un producteur télé et violenté l'amie
d'une précédente petite amie. "Les champions ne sont pas des gars super
relax, dit l'agent de Pistorius, Peet van Zyl. La plupart ont quelque chose qui
les démange par en-dedans".
À venir jusqu'à maintenant, l'homme que
Time magazine décrivait en 2008 comme l'un des 100 personnes les plus
influentes n'a pas eu à se soucier des conséquences de ses actes. Le coureur est
vu comme un super héros dans son pays. "L'histoire d'un homme défiguré par
la vie qui brille malgré tout est en phase avec la mythologie d'un pays
défiguré par l'apartheid qui essaie de s'en sortir", écrit un chroniqueur
du Johannesburg Mail and Guardian. Il bénéficie donc de cette double protection
d'être un bien nanti et un héros populaire. Et puis, la vie en dents de scie
d'Oscar est en phase aussi avec celle d'un pays toujours aux prises avec la
violence, la peur et les inégalités.
Mais revenons au soir du drame. La juge,
connue pour sa défense des droits des femmes, croira-t-elle le plaidoyer cousu
de fil blanc de Pistorius, tout comme les jurés ont avalé, il y a 20 ans, les
couleuvres de OJ? Le jeune homme maintient que Reeva et lui filaient le parfait
bonheur: "Nous étions très amoureux et je n'aurais pas pu être plus
heureux", dit-il. Mais des membres de son entourage parle plutôt d'une
relation houleuse. Il dit avoir passé une soirée paisible en compagnie de sa
conjointe mais des sites porno ont été repérés sur son téléphone le soir du
drame, et des voisins auraient entendu le couple se disputer. Et comment
expliquer la porte de salle de bain fermée à clef, sinon par le fait que Reeva
a dû se protéger de son conjoint? "Elle criait très fort, elle criait à
l'aide, dit la voisine, c'est quelque chose qu'on a de la difficulté à mettre
en mots, l'anxiété de ces cris-là".
Malgré une thèse qui ne tient pas debout, et
le fait que Pistorius n'ait pas pensé d'appeler la police, la twittosphère,
composée majoritairement de jeunes femmes, se disent de tout coeur avec le
champion déchu. En cette veille du 8 mars, espérons que la juge Masipa s'alignera
plutôt avec la confiserie de Johannesburg qui offrait, cette semaine, des biscuits
où était écrit: "Et l'Oscar va...en prison".
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