mercredi 26 mars 2014

Les reines abeilles


Elles étaient cinq en début d’année, elles ne sont plus que trois, et ce nombre pourrait encore diminuer. Avec la démission soudaine d’Alison Redford en Alberta, suivant celle de Kathy Dunderdale à Terre-Neuve en janvier dernier, les femmes premières ministres ont dégringolé en nombre au Canada. Les assises incertaines de Kathleen Wynne en Ontario, comme celles de Pauline Marois au Québec, ne font que confirmer la pente savonneuse. Le sort de Christy Clark en Colombie-Britannique pourrait également s’assombrir. Jusqu’à récemment, ces cinq femmes partageaient l’insigne honneur de diriger un gouvernement provincial pour la première fois.
  Même si la multiplication de femmes sur la scène politique est un signe de progrès en soi, impossible de ne pas voir, dans les montagnes particulièrement russes qui les attendent, un certain sexisme. Pensons à l’attentat au Métropolis contre Pauline Marois. Aurait-il eu lieu si un homme avait été intronisé à sa place ? On peut en douter. Malgré le fait que les femmes sont désormais acceptées comme des leaders crédibles, elles demeurent, dans l’inconscient collectif du moins, plus attaquables, voire plus remplaçables.
  Alison Redford, et Kathy Dunderdale avant elle, a été poussée vers la sortie par son propre parti — le Parti conservateur, en l’occurrence. Pour ce qui est de Mme Redford, c’est une véritable révolte de palais qui se préparait à son insu. Le PC albertain est connu pour jeter ses chefs par-dessus bord, mais les poignards étaient particulièrement effilés au moment de hacher menu la PM. Avant de claquer la porte du parti, un des membres du caucus, Len Webber, accusa Redford d’être une « brute » (bully) et « pas gentille » (not a nice lady) par-dessus le marché. Aurait-on eu idée d’accabler ses prédécesseurs, et jusqu’au turbulent Ralph Klein, de tels reproches ? « On semble croire que c’est acceptable pour les hommes de se comporter d’une certaine façon [agressivement], mais si les femmes agissent de la même façon, elles ne sont pas fines », dit l’ex-députée fédérale Anne McLellan. Bref, il n’y a pas juste dans leur habillement qu’on juge sévèrement les politiciennes (Kathy Dunderdale aurait été particulièrement éprouvée à ce titre), leur comportement est aussi beaucoup plus étudié que leurs vis-à-vis masculins.
  Ce qui ne veut pas dire que Mesdames Redford et Dunderdale, tout comme Wynne et Marois, ne sont pas en partie responsables de ce qui leur arrive. À l’origine de la dégringolade de la chef albertaine, il y a son extravagant voyage de 45 000 $ pour les funérailles de Nelson Mandela en décembre dernier. Chez les conservateurs, l’ultime bévue politique consiste à dépenser l’argent des contribuables à des fins personnelles. Alison Redford y aura goûté. De plus, ces quatre femmes ne sont pas de grandes communicatrices et peinent à établir le fameux « contact » auprès de l’électorat.
  Curieux, quand même, que ce qui est perçu comme des caractéristiques propres aux femmes, la communication et le contact personnel, semble faire défaut à ces pionnières. Le syndrome de la reine abeille y est, à mon avis, pour quelque chose. Les femmes qui se retrouvent là où, pour paraphraser Star Trek,« nulle autre femme n’est encore allée », ont tendance à se durcir, à se comporter comme les hommes qui, forcément, leur ont servi de modèles. Pauline Marois est un cas d’espèce à cet égard. Chaque fois que je regarde la PM, je ne peux m’empêcher de me demander quelle part de cette affirmation un peu surfaite qui la caractérise lui appartient, quelle part lui vient de son propre sentiment d’insécurité face à la tâche à accomplir. Lors du débat des chefs, le ton « oui, papa ! » de Mme Marois, rappelant ces mémorables pubs télé de stores vénitiens, n’était pas particulièrement bienvenu. Plus elle en met, en fait, moins on a envie de la croire ; ce qui, jumelé à la capacité de la première ministre d’affirmer tout et son contraire, a grandement contribué à lui faire perdre le débat, et jusqu’à l’avance dont elle bénéficiait en début de campagne. Après avoir osé rêver tout haut la perspective d’un Québec indépendant, voir Mme Marois soudainement se départir de ce drapeau comme on fourrerait un vieux foulard dans sa sacoche est tout sauf inspirant.
  Les leaders politiques de sexe féminin sont, il faut le dire, dans une situation particulièrement ténue. Toujours désavantagées par rapport à la compétition masculine, elles méritent néanmoins d’être critiquées au même titre que les hommes. Accablées quoi qu’elles fassent, impossible de ne pas sentir à leur égard un mélange de sympathie, de frustration et d’exaspération.

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