Malgré un langage corporel qui, disons-le, laisse à désirer, Pierre
Karl Péladeau arrive sur la scène électorale comme un épaulard dans un
parc aquatique. Un gros mammifère impressionnant, qui ne maîtrise pas
encore le coup du ballon sur le nez, c’est vrai, mais vers qui tous les
regards se tournent, inévitablement.
Aussitôt, on oublie la bévue du premier jour de campagne : « Pas tout de suite, les amis »,
dit Pauline Marois aux journalistes (non sans rappeler une certaine
Céline Dion ou une monitrice de garderie, c’est selon). On oublie aussi
le désopilant tordage de bras de la PM vis-à-vis de Marie Malavoy,
forcée de laisser sa place. On oublie l’avalanche de nouvelles
candidatures féminines et jusqu’à la fameuse charte, tant la présence du
Louis Cyr des affaires québécoises et ce qu’il incarne — l’économie
avec un grand E, la souveraineté avec un grand S — prennent soudainement
toute la place.
Avec cette candidature inespérée et inattendue, le gouvernement
Marois complète le salto arrière entamé peu de temps après les dernières
élections. À l’été 2012, souvenez-vous, le PQ annonçait « la fin du cynisme »,
c’est-à-dire la fin de la manipulation d’enjeux sociaux à des fins
électorales (la hausse des droits de scolarité, en l’occurrence).
Dix-huit mois plus tard, le PQ nous concocte une élection sur le dos
d’un autre enjeu social important, la laïcité, qu’il a su, à l’instar du
précédent gouvernement, exploiter à merveille. De plus, la plupart des
engagements de 2012 ont ratatiné comme peau de chagrin.
En indexant les droits de scolarité, le gouvernement Marois a fait un
pied de nez aux étudiants, c’est la nouvelle recrue Martine Desjardins
elle-même qui le disait. Il a renié ses engagements en ce qui concerne
les mines, la protection des aires protégées, dont l’île d’Anticosti, le
pétrole, le contrôle des gaz à effet de serre, transformant trois de
ses députés (Daniel Breton, Martine Ouellet, Scott MacKay) en véritables
bretzels en cours de route. D’autres sont désormais en ligne pour ce
type de gymnastique extrême, vu l’arrivée de PKP, notamment.
En 2012, le PQ avait aussi promis de maintenir les garderies à 7 $.
Autre promesse abandonnée même si, selon l’économiste Pierre Fortin, ce
sont précisément ces mesures favorisant le retour des femmes sur le
marché du travail qui permettent au Québec de relever la tête en matière
d’emplois. De la part d’un gouvernement qui ne cesse d’invoquer
l’égalité hommes-femmes, pour ne rien dire de sa volonté de faire de
l’économie une priorité, c’est difficile à avaler. De plus, un rapport
de l’INIS démontre que la hausse des tarifs d’électricité, défendue par
PKP lors de son investiture, aggravera la situation des familles, en
commençant par les femmes.
Entre fin 2012 et début 2014, le PQ a tout simplement décidé de
changer de clientèle, reniant une bonne partie de ses engagements
sociaux-démocrates en faveur d’une vision plus conservatrice. L’arrivée
de PKP coule ce virage, opportuniste à souhait, dans le béton, mais elle
pose également des questions de transparence et d’éthique. M. Péladeau a
beau dire qu’il a démissionné de toutes ses fonctions, placé ses
actions dans une fiducie sans droit de regard, il est derrière près de
50 % de ce qui se passe médiatiquement, voire culturellement, au Québec.
Petit exemple parmi tant d’autres : le matin de la publication du
manifeste des Janette, le 15 octobre dernier, les médias tentent de
joindre des signataires. En vain. L’animateur Benoît Dutrizac fulmine
d’ailleurs sur Twitter. On jette un pavé dans la mare et personne ne
peut en parler ? Des collègues à la radio de CBC se font dire qu’il y a
un embargo. « On nous a demandé de ne rien dire jusqu’à ce que TVA en parle à 17 h »,
me confirmera par la suite une des signataires, Michelle Blanc.
Finalement, l’embargo ne sera pas entièrement respecté, Michelle Blanc
et d’autres n’étant pas d’accord avec la consigne, mais vous voyez un
peu le style ? Cela devait être un geste libre et indépendant. Or, on a
tenté de le récupérer pour servir des intérêts partisans.
Lors de l’épisode des Janette, Pierre Karl Péladeau n’était déjà plus
aux commandes de Québecor. Le problème ici n’est donc pas de savoir si
M. Péladeau est intervenu directement, ce qui est fort improbable, ou
même si sa compagne d’alors, Julie Snyder, signataire du manifeste et
également animatrice à TVA, est elle-même intervenue. (Les informations obtenues ne m'ont pas éclairée là-dessus, pour tout dire). Mais ce qui est
clair, c’est qu’il y a eu tentative de contrôler la sortie médiatique
d’un événement important pour des raisons commerciales et politiques.
Précisément ce qui fait peur en ce qui concerne PKP, le futur ministre.
Devant l’étendue de son royaume, le mur que le célèbre candidat dit
avoir dressé entre lui et son entreprise ne suffit tout simplement pas.
En demeurant l’actionnaire principal de l’entreprise québécoise qui,
vraisemblablement, pèse le plus lourd sur l’opinion publique, PKP
demeure un conflit d’intérêts sur deux pattes. Et, par conséquent, une
bombe à retardement.
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