«Jadis, il y avait des Amérindiens, ensuite des bûcherons, maintenant des indécis. »
De toutes les phrases recueillies par l’historien Jocelyn Létourneau dans son récent ouvrage, Je me souviens ?, c’est une de mes préférées. La formule, délicieusement ironique, résume bien l’histoire du Québec : l’avant-Conquête (le pays est entre d’autres mains), l’après-Conquête (on n’en mène pas large) et le post-Révolution tranquille (on se cherche toujours).
Le prof de l’Université Laval a demandé à des jeunes, de la 4e secondaire jusqu’à l’université, de résumer en une phrase le passé du Québec. L’idée n’était pas de mesurer leurs connaissances, mais plutôt d’examiner leur « conscience historique », l’idée que se font les 16-24 ans de la « condition » québécoise. Et elle n’est pas rose, cette condition. L’ouvrage fait jaser car il dément, d’abord, la notion d’une jeunesse ignare et insouciante, mais surtout, il démontre que l’identité franco-québécoise est basée sur le manque, « c’est-à-dire l’idée selon laquelle le parcours québécois tient de l’acte inachevé, voire avorté ».
Si le gouvernement Marois cherchait de nouvelles munitions pour justifier son projet de charte, et le nationalisme identitaire qui le sous-entend, eh bien, en voilà une caisse. L’identité un peu poquée, meurtrie, en mal de reconnaissance des Québécois francophones est justement la raison du succès de la charte auprès d’un certain électorat blanc, francophone, d’âge mûr, en droite ligne avec les bûcherons, si on peut dire. Cette vision tragique du passé, nous dit Jocelyn Létourneau — « Tout a commencé par la défaite », « On s’est fait avoir ! », « L’histoire d’un peuple floué » —, est très présente chez les jeunes également.
La mauvaise nouvelle pour le gouvernement Marois, si on se fie aux 3423 locutions colligées, c’est que la militance n’est pas tellement au rendez-vous. Rendus au cégep, les jeunes ont les idées à la fois plus claires et plus sombres (il faut croire qu’ils ont bien profité de leur cours d’histoire au secondaire), mais ils sont moins revendicateurs, moins portés à entrevoir l’action militante. C’est bien ce qui ressort des sondages, d’ailleurs. Les jeunes Québécois francophones sont souverainistes dans l’âme, nés pour la brioche plutôt que le petit pain, mais pas toujours très motivés à faire l’indépendance pour autant. Ils sont davantage préoccupés par le grand monde, l’environnement, la justice sociale que « le flag sur le hood », comme dirait Jean Chrétien. Ce qui explique aussi leur désaffection vis-à-vis du projet de charte.
Il y a une autre mauvaise nouvelle pour le gouvernement Marois, pour tout mouvement indépendantiste en fait. L’étude de Jocelyn Létourneau démontre un écart considérable entre les sexes. « Les garçons sont sensiblement plus nombreux que les filles à décrire l’expérience québécoise sous l’angle d’une grande et longue misère », dit-il. Si à peu près tout le monde voit le passé québécois comme un champ d’embûches, un long fleuve pas du tout tranquille, y compris les anglophones, les hommes francophones, eux, ont tendance à prendre la Conquête « personnel », plutôt que simplement historique. Comme si beaucoup d’hommes, encore aujourd’hui, sentaient la honte d’avoir perdu la bataille il y a 300 ans. « Défaite, échec, erreur, vaincu, dépendance… » sont les termes qui reviennent tout le temps dans la bouche des étudiants.
Ne nous demandons plus pourquoi la lutte indépendantiste a toujours attiré davantage d’hommes que de femmes. Se voir en victime de l’histoire apparaît ici comme un phénomène davantage masculin, d’ailleurs brillamment décrit, il y a 40 ans, par l’écrivain Hubert Aquin. L’auteur de Prochain épisode allait plus loin encore, avançant que l’homme québécois était non seulement blessé dans son amour propre, mais atteint jusque dans sa masculinité par la Conquête. Pour avoir manqué à son devoir de redresseur de torts, il était désormais incapable d’avoir de bonnes relations avec la femme québécoise. Fort en ketchup ? Peut-être. Mais Aquin, comme on sait, a fait de sa propre vie un exemple de cette impuissance chronique en se tirant une balle dans la tête à l’âge de 47 ans.
Il y a 10 ans, j’ai voulu faire un film là-dessus. Voir si ces « défaitisme, victimalisme, dolorisme » dont parlent à la fois Létourneau et Aquin pouvaient expliquer le taux de suicide anormalement élevé chez les hommes québécois de 18 à 45 ans. (N’ayant pas convaincu les institutions, le projet est resté en plan.) Bien que cette vision tragique s’amenuise aujourd’hui, comme d’ailleurs le fameux taux de suicide, il faut se demander si cette notion de « manque », si chère à l’identité comme au nationalisme québécois, n’a pas également ouvert la porte à beaucoup trop d’actes manqués.
De toutes les phrases recueillies par l’historien Jocelyn Létourneau dans son récent ouvrage, Je me souviens ?, c’est une de mes préférées. La formule, délicieusement ironique, résume bien l’histoire du Québec : l’avant-Conquête (le pays est entre d’autres mains), l’après-Conquête (on n’en mène pas large) et le post-Révolution tranquille (on se cherche toujours).
Le prof de l’Université Laval a demandé à des jeunes, de la 4e secondaire jusqu’à l’université, de résumer en une phrase le passé du Québec. L’idée n’était pas de mesurer leurs connaissances, mais plutôt d’examiner leur « conscience historique », l’idée que se font les 16-24 ans de la « condition » québécoise. Et elle n’est pas rose, cette condition. L’ouvrage fait jaser car il dément, d’abord, la notion d’une jeunesse ignare et insouciante, mais surtout, il démontre que l’identité franco-québécoise est basée sur le manque, « c’est-à-dire l’idée selon laquelle le parcours québécois tient de l’acte inachevé, voire avorté ».
Si le gouvernement Marois cherchait de nouvelles munitions pour justifier son projet de charte, et le nationalisme identitaire qui le sous-entend, eh bien, en voilà une caisse. L’identité un peu poquée, meurtrie, en mal de reconnaissance des Québécois francophones est justement la raison du succès de la charte auprès d’un certain électorat blanc, francophone, d’âge mûr, en droite ligne avec les bûcherons, si on peut dire. Cette vision tragique du passé, nous dit Jocelyn Létourneau — « Tout a commencé par la défaite », « On s’est fait avoir ! », « L’histoire d’un peuple floué » —, est très présente chez les jeunes également.
La mauvaise nouvelle pour le gouvernement Marois, si on se fie aux 3423 locutions colligées, c’est que la militance n’est pas tellement au rendez-vous. Rendus au cégep, les jeunes ont les idées à la fois plus claires et plus sombres (il faut croire qu’ils ont bien profité de leur cours d’histoire au secondaire), mais ils sont moins revendicateurs, moins portés à entrevoir l’action militante. C’est bien ce qui ressort des sondages, d’ailleurs. Les jeunes Québécois francophones sont souverainistes dans l’âme, nés pour la brioche plutôt que le petit pain, mais pas toujours très motivés à faire l’indépendance pour autant. Ils sont davantage préoccupés par le grand monde, l’environnement, la justice sociale que « le flag sur le hood », comme dirait Jean Chrétien. Ce qui explique aussi leur désaffection vis-à-vis du projet de charte.
Il y a une autre mauvaise nouvelle pour le gouvernement Marois, pour tout mouvement indépendantiste en fait. L’étude de Jocelyn Létourneau démontre un écart considérable entre les sexes. « Les garçons sont sensiblement plus nombreux que les filles à décrire l’expérience québécoise sous l’angle d’une grande et longue misère », dit-il. Si à peu près tout le monde voit le passé québécois comme un champ d’embûches, un long fleuve pas du tout tranquille, y compris les anglophones, les hommes francophones, eux, ont tendance à prendre la Conquête « personnel », plutôt que simplement historique. Comme si beaucoup d’hommes, encore aujourd’hui, sentaient la honte d’avoir perdu la bataille il y a 300 ans. « Défaite, échec, erreur, vaincu, dépendance… » sont les termes qui reviennent tout le temps dans la bouche des étudiants.
Ne nous demandons plus pourquoi la lutte indépendantiste a toujours attiré davantage d’hommes que de femmes. Se voir en victime de l’histoire apparaît ici comme un phénomène davantage masculin, d’ailleurs brillamment décrit, il y a 40 ans, par l’écrivain Hubert Aquin. L’auteur de Prochain épisode allait plus loin encore, avançant que l’homme québécois était non seulement blessé dans son amour propre, mais atteint jusque dans sa masculinité par la Conquête. Pour avoir manqué à son devoir de redresseur de torts, il était désormais incapable d’avoir de bonnes relations avec la femme québécoise. Fort en ketchup ? Peut-être. Mais Aquin, comme on sait, a fait de sa propre vie un exemple de cette impuissance chronique en se tirant une balle dans la tête à l’âge de 47 ans.
Il y a 10 ans, j’ai voulu faire un film là-dessus. Voir si ces « défaitisme, victimalisme, dolorisme » dont parlent à la fois Létourneau et Aquin pouvaient expliquer le taux de suicide anormalement élevé chez les hommes québécois de 18 à 45 ans. (N’ayant pas convaincu les institutions, le projet est resté en plan.) Bien que cette vision tragique s’amenuise aujourd’hui, comme d’ailleurs le fameux taux de suicide, il faut se demander si cette notion de « manque », si chère à l’identité comme au nationalisme québécois, n’a pas également ouvert la porte à beaucoup trop d’actes manqués.
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