Porter l’uniforme — ou, plutôt, tout faire pour ne justement pas en
porter — est un de mes souvenirs impérissables de jeunesse. À 12 ans,
j’avais conçu tout un système. Je me levais, enfilais mon uniforme
d’école, une affreuse tunique rouge vin à plis, je déjeunais, disais au
revoir à ma mère et quittais la maison, mine de rien. Sitôt le pas de la
porte franchi, je me faufilais jusqu’au garage derrière, où j’avais
pris la peine, la veille, de cacher mes vêtements de femme « libre ».
Jamais les mêmes fringues, évidemment, ce qui impliquait des corvées en
cachette cinq soirs par semaine. On a des principes ou on n’en a pas. Je
ne trouvais pas seulement l’uniforme archilaid (il l’était), je
n’aimais pas l’idée de me couler dans le moule proposé par les « bonnes
soeurs » qui, vous le devinez, dirigeaient l’établissement.
Que de souvenirs. Ils me sont revenus en lisant l’histoire de la jeune Leila Sayadi, expulsée du collège Letendre de Laval en 2010 pour cause de hidjab. Mon histoire mais à l’envers, et en 10 fois plus effrontée. À 13 ans, Leila est l’unique étudiante qui porte un voile dans une école privée et laïque. (Je n’étais pas, pour ma part, la seule « civile » à mon école). Elle fait bien sûr grincer des dents, mais refuse de se départir du voile. Leila, de toute évidence, est faite forte. Personne, à 13 ans, ne veut se faire montrer du doigt. Ce n’est pas tant la religion qui la motive, lit-on entre les lignes, que l’identité culturelle. D’abord, qu’est-ce qu’on peut bien savoir des « prescriptions coraniques » à 13 ans ? Ensuite, la mère de Leila ne porte pas le voile. « Personne ne m’a imposé ça », précisera la jeune fille, en faisant valoir son droit à la différence.
On reconnaît ici le réflexe de deuxième génération. Alors que les premiers arrivants, la génération née ailleurs, s’empressent souvent de ne pas faire de vagues, de se fondre dans la collectivité, ce n’est pas toujours le cas pour la génération suivante qui, elle, ressent le besoin de revendiquer ses origines. Survie culturelle oblige. Au cours des 10 dernières années, j’ai rencontré beaucoup de jeunes femmes voilées qui répondent à ces critères. Comme Leila, comme moi à 12 ans, elles n’ont pas envie de perdre leur identité au profit de l’homogénéité du groupe, pas envie de s’uniformiser, même si dans leur cas ce sont elles, aux yeux de la majorité, qui portent l’uniforme honni.
Je ne dis pas que revendiquer le port du voile ou le port de la minijupe est du pareil au même. Si les deux pratiques existent pour maintenir les femmes à leur place, disons-le franchement, le premier est de nature religieuse, l’autre pas. L’un vient chargé de l’histoire trouble du monde musulman depuis 50 ans, alors que le second est assimilé à un simple courant de mode — même si des siècles d’exploitation du corps féminin y sont directement reliés. Je ne dis pas non plus que de voir une femme « attachée » — c’est toujours un peu l’effet que le hidjab (version sévère) me fait — me coule comme l’eau sur le dos d’un canard. Je suis après tout de la génération qui a voulu brûler, non seulement son soutien-gorge, mais son affreuse tunique rouge vin sur la place publique. Je préférerai toujours les voiles aux quatre vents que ceux, pour citer le Coran, rabattus sur la poitrine.
Mais revenons-en, voulez-vous ? Arrêtons de penser que la menace, le mal, le Moyen-Âge sont tous d’un côté, celui des religions ostentatoires, et pas du tout du nôtre. Les Nations unies viennent d’accuser le Vatican d’avoir mis des centaines d’enfants en danger en ignorant des actes pédophiles à répétition et, même, d’avoir encouragé « la poursuite de ces sévices » en protégeant les coupables. Si l’intégrisme musulman donne froid dans le dos, la pédophilie au sein de l’Église catholique doit bien donner quelques frissons, non ? Et s’il est possible de dissocier les signes catholiques qui parent nos rues et inévitablement nos vies de cette tare immonde, il est sans doute possible aussi qu’une femme se voile la tête sans qu’elle soit pour autant la militante des Frères musulmans.
Arrêtons de croire surtout que la liberté est à sens unique. Il n’y a pas qu’une seule façon d’être libre, moderne, émancipée. Il n’y a que les esprits religieux qui pensent que la vertu se pratique d’une seule manière, que l’enfer est par-là, le paradis par ici. La pluralité des corps, des esprits, des croyances est absolument nécessaire à un espace démocratique digne de ce nom, pour ne rien dire de l’ennui incommensurable qui se dégage d’une société qui cherche, même de façon limitée, à uniformiser la place publique. Il faut se méfier de l’uniforme comme de l’uniformité, où qu’ils se trouvent.
Que de souvenirs. Ils me sont revenus en lisant l’histoire de la jeune Leila Sayadi, expulsée du collège Letendre de Laval en 2010 pour cause de hidjab. Mon histoire mais à l’envers, et en 10 fois plus effrontée. À 13 ans, Leila est l’unique étudiante qui porte un voile dans une école privée et laïque. (Je n’étais pas, pour ma part, la seule « civile » à mon école). Elle fait bien sûr grincer des dents, mais refuse de se départir du voile. Leila, de toute évidence, est faite forte. Personne, à 13 ans, ne veut se faire montrer du doigt. Ce n’est pas tant la religion qui la motive, lit-on entre les lignes, que l’identité culturelle. D’abord, qu’est-ce qu’on peut bien savoir des « prescriptions coraniques » à 13 ans ? Ensuite, la mère de Leila ne porte pas le voile. « Personne ne m’a imposé ça », précisera la jeune fille, en faisant valoir son droit à la différence.
On reconnaît ici le réflexe de deuxième génération. Alors que les premiers arrivants, la génération née ailleurs, s’empressent souvent de ne pas faire de vagues, de se fondre dans la collectivité, ce n’est pas toujours le cas pour la génération suivante qui, elle, ressent le besoin de revendiquer ses origines. Survie culturelle oblige. Au cours des 10 dernières années, j’ai rencontré beaucoup de jeunes femmes voilées qui répondent à ces critères. Comme Leila, comme moi à 12 ans, elles n’ont pas envie de perdre leur identité au profit de l’homogénéité du groupe, pas envie de s’uniformiser, même si dans leur cas ce sont elles, aux yeux de la majorité, qui portent l’uniforme honni.
Je ne dis pas que revendiquer le port du voile ou le port de la minijupe est du pareil au même. Si les deux pratiques existent pour maintenir les femmes à leur place, disons-le franchement, le premier est de nature religieuse, l’autre pas. L’un vient chargé de l’histoire trouble du monde musulman depuis 50 ans, alors que le second est assimilé à un simple courant de mode — même si des siècles d’exploitation du corps féminin y sont directement reliés. Je ne dis pas non plus que de voir une femme « attachée » — c’est toujours un peu l’effet que le hidjab (version sévère) me fait — me coule comme l’eau sur le dos d’un canard. Je suis après tout de la génération qui a voulu brûler, non seulement son soutien-gorge, mais son affreuse tunique rouge vin sur la place publique. Je préférerai toujours les voiles aux quatre vents que ceux, pour citer le Coran, rabattus sur la poitrine.
Mais revenons-en, voulez-vous ? Arrêtons de penser que la menace, le mal, le Moyen-Âge sont tous d’un côté, celui des religions ostentatoires, et pas du tout du nôtre. Les Nations unies viennent d’accuser le Vatican d’avoir mis des centaines d’enfants en danger en ignorant des actes pédophiles à répétition et, même, d’avoir encouragé « la poursuite de ces sévices » en protégeant les coupables. Si l’intégrisme musulman donne froid dans le dos, la pédophilie au sein de l’Église catholique doit bien donner quelques frissons, non ? Et s’il est possible de dissocier les signes catholiques qui parent nos rues et inévitablement nos vies de cette tare immonde, il est sans doute possible aussi qu’une femme se voile la tête sans qu’elle soit pour autant la militante des Frères musulmans.
Arrêtons de croire surtout que la liberté est à sens unique. Il n’y a pas qu’une seule façon d’être libre, moderne, émancipée. Il n’y a que les esprits religieux qui pensent que la vertu se pratique d’une seule manière, que l’enfer est par-là, le paradis par ici. La pluralité des corps, des esprits, des croyances est absolument nécessaire à un espace démocratique digne de ce nom, pour ne rien dire de l’ennui incommensurable qui se dégage d’une société qui cherche, même de façon limitée, à uniformiser la place publique. Il faut se méfier de l’uniforme comme de l’uniformité, où qu’ils se trouvent.
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