Au cas où vous l’ignoriez, nous avons entamé mardi le 149e jour de
débats sur la charte de la laïcité. J’ai compté. Quatre mois et demi
d’âpres discussions, mais sans le moindre happy end en vue. Le
ministre responsable, Bernard Drainville, toujours aussi insouciant par
rapport au climat qui sévit dans les chaumières, répétait encore cette
semaine que, malgré la commission parlementaire qui débute, rien ne
changerait pour ce qui est des grands principes de son projet de loi.
Aussi bien dire : on entame un grand exercice de tournage en rond.
Malgré l’inconfort de se retrouver à couteaux tirés avec un voisin,
un collègue ou un membre de sa famille (je ne peux pas croire que ça ne
vous est pas arrivé, vous aussi), plus dure encore est l’attitude du
gouvernement Marois dans toute cette histoire. Je veux parler surtout de
cette façon d’appeler un chat un chien, de dire le contraire de la
réalité, d’affirmer que nous vivons une « crise » alors que tous les
intervenants disent le contraire, de prétendre vouloir la « cohésion »
alors qu’aucun débat n’a créé autant de divisions, de se dire préoccupé
par l’égalité hommes-femmes, « la chose la plus importante au Québec »
(mon oeil), alors que, visiblement, la chose qui compte actuellement
est de positionner le Québec comme l’adversaire incontesté du
multiculturalisme, question de tenir le Canada et tout l’univers
anglo-saxon à bout de bras. Lisez la lettre que Jean-François Lisée
publiait cette semaine dans le New York Times, très instructif à cet égard.
Le romancier George Orwell a un nom pour ce genre de sémantique contradictoire : la doublepensée (doublethink).
Dire une chose, le plus sincèrement du monde, tout en évoquant son
contraire, arme politique redoutable et malaisée s’il en est une. Les
manoeuvres du gouvernement Marois sont à ce point cousues de fil blanc
que j’ai fini par croire, moi aussi, qu’il n’a pas du tout l’intention,
malgré ce qu’il en dit, de passer son projet de loi. Un parti quelque
soit peu sérieux à cet égard aurait commencé par fournir des études,
aurait proposé une définition de la neutralité d’État, ce qui manque
toujours à l’appel, aurait, vu son statut minoritaire, davantage écouté
les voix discordantes, mis un peu d’eau dans son vin. Surtout, un parti
bien motivé aurait sauté sur l’occasion de saisir le consensus qui se
dégage pour en faire un premier projet de loi.
Unité de pensée
Il existe après tout une extraordinaire unité de pensée sur les deux
tiers du projet de loi 60. Nous voulons tous la neutralité de l’État
comme principe fondateur, la réaffirmation de l’importance de l’égalité
hommes-femmes et, finalement, des balises, plus limpides encore, pour
encadrer les accommodements religieux. Devant une situation comme celle
qui vient de se produire à l’Université York à Toronto, il faut que ce
soit archiclair : personne ne peut invoquer un motif religieux pour
éviter le contact avec des femmes, puisqu’il s’agit là d’une censure
implicite de la présence des femmes sur la place publique. Personne ne
veut ça.
Il y aurait là un projet de loi que tout le monde s’empresserait de
signer, comme le proposait d’ailleurs Québec solidaire en octobre
dernier. Il s’agirait d’un véritable acte de cohésion permettant
ensuite, à tête un peu plus reposée, de passer à l’étape plus
difficile : jusqu’où interdire les signes religieux ? Curieusement, ce
n’est pas ce que choisit le gouvernement Marois. Malgré les âpres
divisions à ce sujet, malgré une détérioration des rapports sociaux et
une augmentation des préjugés à l’égard de communautés culturelles — ce
dont fait état un sondage Léger publié cette semaine —, malgré le fait
que toutes les grandes universités du Québec, la Ville de Montréal, la
Fédération autonome des enseignants, l’Association des médecins, la
commission scolaire anglophone de Montréal, l’Hôpital juif de Montréal,
pour ne rien dire de la Commission des droits de la personne, malgré le
fait que toutes ces institutions clés sont en profond désaccord avec
cette partie du projet, et ont l’intention de protester devant les
tribunaux s’il le faut, le gouvernement fait la sourde oreille,
préférant les quelques points de plus que sa position « sans compromis »
récolte dans les sondages.
À noter que cette hausse dans les sondages veut aussi dire une
clientèle plus masculine et moins scolarisée pour le PQ. En plus de
semer la pagaille dans les rangs, la charte de la laïcité est en train
d’adéquiciser le parti de René Lévesque. De là à voir ce projet comme un
pacte avec le diable, il n’y a qu’un pas que, visiblement, le PQ
lui-même hésite à franchir. Au moins ça.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire