C’était du Daniel Paillé comme on ne l’a jamais vu. Je parle de la
conférence de presse où le chef du Bloc québécois a annoncé sa
démission, lundi. Il affichait toujours ce sérieux qui est le sien,
cette espèce d’intensité de jésuite qui le distingue mais avec un relent
d’émotion qui, bien que contenue, le transformait. L’homme, qui peut
paraître assez froid, détaché, sévère même, paraissait ému, vulnérable,
vrai. On a envie de s’incliner dans des moments pareils, pas seulement
pour la personne devant soi qui souffre et qui, en plus, est appelée à
souffrir devant tout le monde pendant de longues minutes, mais parce que
ces moments sont trop rares en politique.
Assenés de questions, comme s’en plaignait dans ces pages le jeune
député Léo Bureau-Blouin, les politiciens aujourd’hui ont la fâcheuse
tendance de s’arc-bouter devant un micro, de se donner de la prestance
plutôt que nous donner l’heure juste. On comprend, évidemment, la
difficulté d’avoir à constamment composer avec une multitude de
questions, parfois pièges, mais il n’y a pas que la réflexion qui en
souffre. La vérité en prend aussi pour son rhume. La reine de
Tout-va-très-bien-Madame-la-Marquise, Pauline Marois, est allée jusqu’à
reprendre son ministre des Finances pour avoir osé avouer, dans un
moment de rafraîchissante humilité, sa gaffe concernant les prévisions
budgétaires. Quand vient le temps de siffler dans le cimetière, le
ministre des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, ne laisse
pas sa place non plus. Cette hypocrisie politique, tout autant que
l’instantanéité médiatique, pose aussi un problème de démocratie.
Mais revenons à la démission de Daniel Paillé. Le dernier clou pour
le Bloc ? Curieusement, M. Paillé a été le premier, au lendemain des
résultats désastreux de 2011, à poser la question de la survie du BQ.
A-t-on vraiment besoin d’un parti souverainiste à Ottawa ? That is la
question. René Lévesque a toujours été contre, comme bon nombre de
souverainistes encore aujourd’hui. Sans les circonstances
exceptionnelles créées par l’échec de l’accord du lac Meech, le Bloc
n’aurait jamais vu le jour, c’est clair. D’ailleurs, au départ, Lucien
Bouchard ainsi que Gilles Duceppe étaient contre la formation d’un
parti, tellement l’expérience devait être brève. « Le succès du Bloc sera mesuré à sa courte durée », affirmait M. Bouchard lors du congrès de fondation en 1991.
Souveraineté
Le Bloc a été créé pour une seule raison : parce que la souveraineté
semblait, miraculeusement, à portée de main. Selon un des organisateurs
de première heure au Bloc, François Leblanc, « la durée utile de Bloc était d’environ deux ans après un référendum gagnant, ou d’une ou deux élections subséquentes ».
En d’autres mots, le Bloc avait une date de péremption autour de l’an
2000. Il a pourtant largement survécu à ce pronostic, sans trop se poser
de questions. Quelque part entre l’après-référendum 1995 et le tournant
du siècle, l’objectif de souveraineté s’est mué en défense des
« intérêts du Québec ». Le scandale des commandites, puis les politiques
désagréables de Stephen Harper ont justifié la survie du parti pendant
une bonne décennie, tout en usant subrepticement la vie utile du BQ.
En 2011 arriva ce qui devait inévitablement arriver : sans
justification circonstancielle et avec un rival de taille en la personne
de Jack Layton, le Bloc s’est pété la fraise sur ses propres
contradictions. 1-Un parti souverainiste à Ottawa sans l’ombre d’une
souveraineté en vue ; 2-Une formation politique résolument à gauche qui
indisposait de plus en plus de souverainistes (plus à droite) au Québec,
tout en se confondant régulièrement avec les positions du NPD.
Selon mes informations, la candidature de dernière minute, en
décembre 2011, de Daniel Paillé à la direction du parti était
d’inspiration péquiste. Certains bonzes du parti craignaient non
seulement que le Bloc tombe aux mains de l’imprévisible Maria Mourani,
mais rêvaient d’une succursale un peu plus conforme à la maison mère.
L’ironie du règne de M. Paillé est que, tout en étant resté largement
inconnu du grand public, il aura réussi ce qui aurait été impensable
sous Gilles Duceppe : l’arrimage avec le PQ. Décriant, d’abord, les
positions systématiquement à gauche de son parti, le nouveau chef a
ensuite accueilli à bras grands ouverts la controversée charte de la
laïcité, faisant rouler la tête de Maria Mourani en cours de route.
Rendons à César.
Avant de lui-même rentrer à la maison, Daniel Paillé aura redirigé le
Bloc, pour la première fois de son histoire, sous le grand chapiteau du
PQ. Il aura décanadianisé le parti, en d’autres mots, et c’est
à se demander, à l’instar de Jean-François Lisée, si le processus ne
mériterait pas d’être poursuivi jusqu’au bout.
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