mercredi 4 décembre 2013

Portrait de société

Étiez-vous au rendez-vous, dimanche soir dernier ? Je ne suis pas une fidèle de l’émission Tout le monde en parle, lieu de rassemblement qui a remplacé le perron d’église, mais dimanche j’y étais comme une seule femme, scotchée au téléviseur presque du début à la fin. La controverse entourant le dénommé Gab Roy m’avait fait courir. Comme d’autres, je n’étais pas du tout convaincue qu’il fallait faire une place, dans cette messe dominicale, à un pornocrate sans scrupule, mais ne connaissant ni le bonhomme, ni le nouveau site de l’hebdo Voir qui l’héberge (trouble.voir.ca), je voulais en avoir le coeur net. Je n’ai pas regretté.
  Le segment voué au controversé GR aurait très bien pu tourner à vide, l’homme lui-même n’étant ni très sympathique ni particulièrement intéressant. Même le rédacteur en chef de Voir, Simon Jodoin, immensément plus réfléchi, peinait à justifier l’existence de ce gros bébé bruyant en invoquant un « espace d’expérimentation ». Heureusement, les autres invités ont sauvé la mise. « L’invité le plus controversé » de tout temps, selon Dany Turcotte, mettait visiblement tout le monde sur les dents, en commençant par les deux animateurs eux-mêmes, qui n’ont jamais, à ce que je sache, autant froncé du sourcil.
  L’animatrice France Beaudoin et le docteur Réjean Thomas ont tour à tour remis les pendules à l’heure en pétant la balloune de « l’humour », l’éternel prétexte pour marteler, à coups de farces plates, la discrimination contre les femmes, les homosexuels et les Noirs, petit jeu auquel GR se plie. Mais le moment de grâce est venu lorsqu’une de trois « survivantes », des femmes dont les enfants ont été tués par leur conjoint, Marie-Paule McInnis, a osé élever la voix contre la désinvolture ahurissante des GR de ce monde. Sans le dire nommément, Mme McInnis accusait « l’agitateur Web » d’être en partie responsable de son malheur.
  « Un homme qui fait de la violence conjugale va toujours essayer de se rallier à “ tu vois, Pierre, Jean, Jacques dit que j’ai raison  », dira plus tard une autre survivante.
  Scène saisissante que ces trois femmes éplorées, dont la vie est pour toujours alourdie, endeuillée, assises comme un choeur grec derrière les trois « fauteurs de trouble », pendant que ceux-ci tentaient de nous instruire sur l’ouverture d’esprit et les subtilités du deuxième degré. Surréel. Le contraste entre ce GR baveux, tombé dans son nombril étant petit, ne se posant pas trop de questions sauf celles de satisfaire ses envies (ses performances vidéo sont des monuments d’autocongratulation), et ces trois femmes, dont la vie a été détruite par des hommes n’ayant qu’une envie, les punir, était à couper le souffle.
  D’un côté, la douleur des victimes, de l’autre, l’inconscience du bourreau qui se défend, bien sûr, d’en être un. Dans la tête d’un GR, il n’y a pas de lien entre le « Far Web », son terrain de jeu de prédilection où on peut fantasmer sur une femme (connue) « toute écartillée », l’humilier et l’avilir, ou encore, interviewer un facho fini proclamant l’infériorité des femmes, et ce que vivent les trois femmes derrière lui. Sauf qu’il y en a un. Le besoin de tenir les femmes en laisse, de les maltraiter pour mieux leur rappeler leur place (le but ultime du hardcore) et, finalement, de les punir si jamais elles osent s’affranchir.
  À mon avis, l’émission de dimanche a brillamment joué son rôle. Au-delà des introductions d’usage aux goûts du jour, elle a permis une véritable incursion dans le monde dans lequel on vit, faisant le pont entre la dernière trouvaille Web où se retranchent, malheureusement, les pires misogynes, phénomène dont on parle encore trop peu, et la question indécrottable, vieille comme le monde, de la violence conjugale.
  L’invitation au controversé Gab Roy était donc parfaitement justifiée, pas parce qu’il attire « 100 000 visiteurs », comme l’a plaidé Guy A. d’entrée de jeu, mais parce qu’on a pu démystifier cet engouement pour tout ce qui grouille sur le Web, travers qui se remarque particulièrement chez les directeurs de médias en perte de vitesse par les temps qui courent. Si Simon Jodoin a raison de dire qu’il faut s’ouvrir les clapets par rapport à ce médium, encore faut-il débusquer la complaisance et la grosse bêtise, même si on en redemande.
  En plus d’éclairer tous ces coins sombres, l’émission a en même temps su réjouir par la dévotion d’un Réjean Thomas dans sa lutte contre le sida et les MTS, l’intégrité d’une femme comme France Beaudoin, les prestidigitations fabuleuses de Luc Langevin, le talent du comédien-réalisateur-chanteur Émile Proulx-Cloutier qui, lui, se pose visiblement beaucoup de questions.
  L’émission du 1er décembre 2013 passera aux annales comme un petit instantané de la société québécoise. Pour le meilleur et pour le pire.

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