Dans ce débat trépidant, parfois insultant, toujours un peu
dangereux, une nouvelle division se fait sentir : droits individuels
contre droits collectifs. Depuis la phrase assassine de Djemila Benhabib
à l’endroit de Dalila Awada à TLMEP, « il faut sortir de votre moi pour
penser la société ! », la défense des droits individuels est devenue
presque une insulte. Remarquez, ça se prend mieux que « folles » ou «
femmes soumises», mais l’insinuation est qu’il y a là un nombrilisme
malsain, comparé à la défense magnanime de la nation. Le ministre
Drainville a eu sensiblement la même réaction à la suite de la mise en
garde de la Commission des droits de la personne, en laissant entendre
que la Charte des libertés devra se plier aux exigences de la laïcité,
plutôt que l’inverse.
Les défenseurs des droits collectifs ont certainement le beau rôle, d’autant plus que l’affirmation nationale est un « sport national » au Québec et qu’il a été particulièrement négligé depuis 15 ans. On se meurt d’envie de voir des gladiateurs dans l’arène. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de chrétiens à sauver de la bouche des lions. Le péril islamiste dont prétendent nous sauver les « Janette » et « Jeanne d’Arc » de ce monde n’existe pas. Au Québec, s’entend. Il existe très certainement dans des pays musulmans, mais le Québec ne sera jamais l’Algérie, l’Égypte, encore moins l’Afghanistan. Notre population musulmane est de moins de 2 %, ne risque pas du tout d’augmenter par les temps qui courent et elle est une des moins dévotes parmi les minorités religieuses. S’il faut garder un oeil ouvert vis-à-vis du fondamentalisme religieux, on serait mieux avisés de regarder du côté des évangéliques chrétiens, mais il serait surprenant que le gouvernement Marois, peu porté sur la vérification de terrain, se penche là-dessus.
De plus, l’interdiction du voile laisse les coudées franches aux quelques mosquées à Montréal financées par l’Arabie saoudite, tout en pénalisant les femmes qui ont le malheur de vouloir se couvrir la tête. Bref, non seulement ça ne diminue pas la menace intégriste, mais ça ouvre la porte à d’éventuelles poussées de radicalisme au sein d’une communauté d’ores et déjà discréditée et montrée du doigt.
Nous assistons ici à une déformation de la réalité qui, de plus, ouvre la porte aux insultes, au mépris et à l’ignorance. Ce n’est pas le seul détournement de sens au coeur de ce débat. L’idée, par exemple, que la laïcité et les droits de la femme vont de pair. Historiquement, c’est tout le contraire. Comme l’explique l’historienne Micheline Dumont, si le droit de vote, si cher à Janette Bertrand, a mis autant de temps à se réaliser en France (1944) et au Québec (1949), c’est notamment à cause des mouvements laïques. Les Québécoises ont été privées de leur droit de vote en 1834 par « nul autre que ces champions de laïcité qu’étaient les Patriotes », écrit-elle. C’est que la séparation de l’Église et de l’État a longtemps été de pair avec la séparation du privé et du public, ce qui impliquait de tenir les femmes loin de la politique et donc, du droit de vote.
Autre déformation dans ce débat : l’idée que les droits individuels sont de moindre « valeur ». Souvent assimilés ici aux « obsessions de Trudeau », on semble oublier que ce sont les droits individuels qui sont le fondement de la démocratie, non pas les droits collectifs. Sans l’application rigoureuse des libertés fondamentales, les Noirs seraient toujours esclaves et les femmes, confinées à leur cuisine. Ce sont les libertés individuelles qui protègent de la tyrannie, de l’arbitraire, de l’injustice et qui garantissent l’égalité des chances et la liberté d’expression.
Mais le détournement qui personnellement me pèse le plus concerne le féminisme. Dans ce débat à couteaux tirés, il y a deux conceptions du féminisme qui s’affrontent. Celle née il y a 40 ans, un féminisme idéologique, théorique, basé sur la dénonciation du patriarcat et l’oppression des femmes, et qui n’a pas vraiment changé depuis le début des années 70. Et puis, un féminisme plus pragmatique si on peut dire, moins symbolique, qui n’endosse pas nécessairement la candidature d’une femme simplement parce que c’est une femme, ou encore, qui encourage les hommes à prendre position dans les débats, plutôt que le contraire. Un féminisme qui considère que les choses peuvent changer, en d’autres mots, plutôt que l’inverse.
Au départ, tout mouvement idéologique a besoin d’être pur et dur, de mettre les points sur la table, afin de mieux prendre son envol. Mais vient le moment où c’est le contraire qui est souhaitable, où il faut cesser de généraliser pour regarder le cas par cas, ainsi que les nuances qui s’imposent. C’est ce passage du discours militant au discours, disons, plus humain qui est toujours le plus difficile à réussir, comme en fait foi le débat actuel.
Les défenseurs des droits collectifs ont certainement le beau rôle, d’autant plus que l’affirmation nationale est un « sport national » au Québec et qu’il a été particulièrement négligé depuis 15 ans. On se meurt d’envie de voir des gladiateurs dans l’arène. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de chrétiens à sauver de la bouche des lions. Le péril islamiste dont prétendent nous sauver les « Janette » et « Jeanne d’Arc » de ce monde n’existe pas. Au Québec, s’entend. Il existe très certainement dans des pays musulmans, mais le Québec ne sera jamais l’Algérie, l’Égypte, encore moins l’Afghanistan. Notre population musulmane est de moins de 2 %, ne risque pas du tout d’augmenter par les temps qui courent et elle est une des moins dévotes parmi les minorités religieuses. S’il faut garder un oeil ouvert vis-à-vis du fondamentalisme religieux, on serait mieux avisés de regarder du côté des évangéliques chrétiens, mais il serait surprenant que le gouvernement Marois, peu porté sur la vérification de terrain, se penche là-dessus.
De plus, l’interdiction du voile laisse les coudées franches aux quelques mosquées à Montréal financées par l’Arabie saoudite, tout en pénalisant les femmes qui ont le malheur de vouloir se couvrir la tête. Bref, non seulement ça ne diminue pas la menace intégriste, mais ça ouvre la porte à d’éventuelles poussées de radicalisme au sein d’une communauté d’ores et déjà discréditée et montrée du doigt.
Nous assistons ici à une déformation de la réalité qui, de plus, ouvre la porte aux insultes, au mépris et à l’ignorance. Ce n’est pas le seul détournement de sens au coeur de ce débat. L’idée, par exemple, que la laïcité et les droits de la femme vont de pair. Historiquement, c’est tout le contraire. Comme l’explique l’historienne Micheline Dumont, si le droit de vote, si cher à Janette Bertrand, a mis autant de temps à se réaliser en France (1944) et au Québec (1949), c’est notamment à cause des mouvements laïques. Les Québécoises ont été privées de leur droit de vote en 1834 par « nul autre que ces champions de laïcité qu’étaient les Patriotes », écrit-elle. C’est que la séparation de l’Église et de l’État a longtemps été de pair avec la séparation du privé et du public, ce qui impliquait de tenir les femmes loin de la politique et donc, du droit de vote.
Autre déformation dans ce débat : l’idée que les droits individuels sont de moindre « valeur ». Souvent assimilés ici aux « obsessions de Trudeau », on semble oublier que ce sont les droits individuels qui sont le fondement de la démocratie, non pas les droits collectifs. Sans l’application rigoureuse des libertés fondamentales, les Noirs seraient toujours esclaves et les femmes, confinées à leur cuisine. Ce sont les libertés individuelles qui protègent de la tyrannie, de l’arbitraire, de l’injustice et qui garantissent l’égalité des chances et la liberté d’expression.
Mais le détournement qui personnellement me pèse le plus concerne le féminisme. Dans ce débat à couteaux tirés, il y a deux conceptions du féminisme qui s’affrontent. Celle née il y a 40 ans, un féminisme idéologique, théorique, basé sur la dénonciation du patriarcat et l’oppression des femmes, et qui n’a pas vraiment changé depuis le début des années 70. Et puis, un féminisme plus pragmatique si on peut dire, moins symbolique, qui n’endosse pas nécessairement la candidature d’une femme simplement parce que c’est une femme, ou encore, qui encourage les hommes à prendre position dans les débats, plutôt que le contraire. Un féminisme qui considère que les choses peuvent changer, en d’autres mots, plutôt que l’inverse.
Au départ, tout mouvement idéologique a besoin d’être pur et dur, de mettre les points sur la table, afin de mieux prendre son envol. Mais vient le moment où c’est le contraire qui est souhaitable, où il faut cesser de généraliser pour regarder le cas par cas, ainsi que les nuances qui s’imposent. C’est ce passage du discours militant au discours, disons, plus humain qui est toujours le plus difficile à réussir, comme en fait foi le débat actuel.
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