mercredi 16 octobre 2013

La femme-produit


La vie, à défaut des débats télévisés, est pleine de surprises.

Qui aurait cru que la seule femme candidate, aussi la seule "jeune" dans la course à la mairie de Montréal, Mélanie Joly, se retrouverait nez à nez avec le candidat vedette Marcel Côté? Il y a là un exploit dont seule la principale intéressée, et peut-être sa mère et Gaëtan Frigon, auraient pu deviner. Malgré la détermination, l'assurance et la belle pancarte, Mélanie Joly passait difficilement la rampe médias, encore récemment.

Évidemment, c'est merveilleux qu'une jeune femme ait envie de se lancer dans la course, vu l'absence des femmes en politique municipale notamment. Mais c'est également un peu gênant de la voir si mal préparée pour le job, comme s'il suffisait d'être femme et jeune pour incarner le "vrai changement".  

Je ne sais plus qui a dit : "Les femmes auront atteint l'égalité quand il y aura une incompétente à la tête d'une grosse entreprise".  Le jour, en d'autres mots, où les femmes n'auront pas à être trois fois plus qualifiées qu'un homme pour accéder à un poste important. Il leur suffira, comme un homme, d'avoir du front tout le tour de la tête. Il se peut donc que la recette Mélanie Joly, je-ne-sais-trop-dans-quoi-je-m'embarque-mais-je-me-fais-extrêmement-confiance, nous rapproche de cet idéal tant espéré. Ça tranche, en tout cas, avec la fâcheuse tendance à se sous-estimer des femmes plus vieilles.

L'attitude winner de Mélanie ressemble d'ailleurs étrangement à celui de son rival # 1, Denis Coderre. Chez ces deux candidats, on retrouve une pesante assurance, une espèce de Yes, we can à la Barack Obama mais en beaucoup plus narcissique, transformée en Yes, I can (Oui, je peux), qui fait cruellement défaut à l'autre élément surprise dans cette course, Marcel Côté, dont la voix perpétuellement grimpée dans les rideaux, beaucoup trop vociférante, lui confère un air affolé qui le dessert, et le vieillit, énormément. Quiconque a connu M. Côté dans son ancienne vie ne peut que s'en étonner.

Est-ce cette fraîche assurance qui explique l'étonnant score de Mélanie Joly lors du dernier sondage? En partie. Mais je soupçonne la jeune candidate de bénéficier aussi d'un certain branding féminin très en vogue en ce moment. Si j'étais elle, j'enverrais des fleurs à Véronique Cloutier dont le récent packaging en magazine glacé quatre couleurs nous rappelle, non seulement son redoutable don d'ubiquité, mais comment un certain modèle de femme --de 35-40 ans, blonde, souriante et confiante à l'os-- a la cote actuellement.

Véro n'a rien inventé : ce modèle de femme est de rigueur depuis au moins 15 ans à la télévision américaine, chez les lectrices de nouvelles en particulier. Vous trouverez un autre exemple de cette image féminine dans une publicité qui passe actuellement à Radio-Canada. Gros plan sur une femme blonde aux yeux bleus ciel, redoutablement assurée, à l'allure très professionnelle, mais aux propos franchement incompréhensibles. "Chez nous, on calcule l'intégrale sur une base d'intégrité, on fait la différence entre le flambage structural et le flambage de budget (...) et on sait que la somme est assurément plus grande que ses parties".

C'est une pub, apprend-t-on à la fin de ce charabia, pour la "nouvelle référence en ingénierie au Québec". Impossible de dire, même après l'avoir entendu trois fois, ce que cette femme dit vraiment. Mais quel aplomb! Quelle assurance! Un peu plus, et on voterait pour elle.

Grâce à la télévision, ce modèle de femmes --né, on soupçonne, avec les Barbies "astronaute", "avocate" et "grand reporter" de la fin du siècle dernier-- est devenu une figure non seulement familière mais rassurante. Elle suscite aujourd'hui l'adhésion. Dans une atmosphère empestée de corruption, en plus, le simple fait d'être jeune, blonde et femme suinte la pureté, du moins, subliminale. La candidature de Mélanie Joly semble en avoir bénéficier. Mais de là à penser remporter la mise? Il y a loin de la "course" aux lèvres. Pour l'instant, Madame Joly profite des apparences, du symbolisme rattaché à son sexe et à son âge, et tant pis pour l'expertise et l'inspiration --exactement l'envers de Richard Bergeron, en fait, de loin le candidat le plus solide mais dont l'apparence nerd n'inspire pas.

Mais le jour viendra où les Montréalais voudront plus qu'une simple promotion publicitaire --souhaitons-nous, du moins, ce moment de grâce. À ce moment-là, la marque sur laquelle s'appuie la candidature de Mélanie Joly pourrait très bien jouer contre elle.

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