Jusqu’à récemment, il y avait un homme en uniforme, haut comme trois
pommes, plus petit que moi encore, c’est vous dire, le sourire accroché
en permanence, qui se pointait chez moi avec une régularité
déconcertante. Je l’appelais «M. Hydro», il m’appelait «Mme Pelletier»,
et on faisait ça vite. C’est pas long, prendre le pouls des lieux. À
vrai dire, ça lui prenait plus de temps d’enlever ses chouclaques, étant
gentleman dans l’âme et Japonais sur les bords, que de faire sa
besogne.
J’ai pensé à M. Hydro en recevant une lettre m’annonçant «
l’installation sans frais d’un compte de nouvelle génération ». On
n’arrête pas le progrès, dit essentiellement le communiqué. D’ailleurs,
peut-être êtes-vous parmi les 750 000 chanceux qui savent déjà qui, du
frigo, du lave-vaisselle ou du four micro-ondes, est le plus énergivore
chez vous ? Les nouveaux compteurs savent des choses que les MM. Hydro
et leurs compteurs à roulette ignoraient. Par exemple, si vous êtes à la
maison ou en vacances, et depuis combien de temps.
Au nom d’une meilleure qualité de services, Hydro-Québec a décidé de
remplacer tous ses compteurs électromécaniques « désuets » (dites ça à
M. Hydro) par des compteurs qui se lisent à distance. À l’oeuvre depuis
février 2013, opération Compteurs intelligents doit se poursuivre
jusqu’en 2018 et couvrir le Québec tout entier, au coût de 1 milliard.
Vous en avez sûrement entendu parler, si ce n’est qu’en trouvant un
petit collant sur votre boîte à lettres vous incitant à dire « non » à
cette nouvelle technologie.
Personnellement, je n’y avais pas fait très attention, mais la lettre
d’Hydro-Québec m’a mis la puce à l’oreille. On m’offre une nouvelle
technologie, gratos, en spécifiant que si j’opte pour le vieux modèle,
je devrai payer ? Le monde à l’envers. En effet, me confirme le service à
la clientèle, on vous installe le nouveau modèle pour rien, mais le
opting out coûtera 98 $ de frais d’installation (pour un modèle non
communicant), 137 $ si je tarde à m’inscrire en faux, et environ 207 $
par année par la suite. Décidément, être de la vieille école n’est pas
payant.
Normes de sécurité
Patrice Lavoie, un des 10 représentants médias à Hydro-Québec, tente
de m’éclairer. « Il y a plus de 100 compagnies d’électricité qui
utilisent aujourd’hui ce système ; il y a de grosses économies à faire
là-dedans », dit-il. En éliminant tous les MM. et Mmes Hydro, les
camions, l’essence, tout ce qui vient avec, et en soustrayant le
milliard de coûts d’installation, il s’agit d’une économie de « 200
millions sur 20 ans ».
Mais encore faut-il qu’Hydro respecte les échéances qu’elle s’est
données car, le high-tech a ça de particulier : il devient rapidement
déphasé. Selon l’analyste en énergie Jean-Pierre Blain, interrogé par Le
Devoir en juillet denier, on se dirige vers un « dépassement
significatif des coûts » à cause, notamment, de fatigantes comme moi qui
causent des retards d’installation. Ils sont entre 2500 (selon
Hydro-Québec) et 14 000 (selon les opposants) à barrer la route
aujourd’hui au nouveau système. Le mouvement de protestation repose
essentiellement sur les risques que posent les compteurs intelligents
pour la santé. Hydro-Québec assure, dépliant à l’appui, que l’exposition
aux radiofréquences est négligeable. L’Association québécoise de lutte
contre la pollution atmosphérique (AQLPA), qui mène la bataille, dit que
les normes de sécurité canadiennes sont basées sur des expositions de
courte durée. « Il n’y a pas eu de recherches à long terme sur de
faibles doses », dit Brigitte Blais. Se basant sur d’autres études,
l’AQLPA pense qu’il y a des effets biologiques bien en dessous de la
limite recommandée par Santé Canada.
À noter que Santé Canada mène en ce moment, par l’intermédiaire de la
Société royale canadienne, des consultations en vue de réviser les
normes de sécurité concernant l’exposition aux champs
électromagnétiques. Nous vivons de plus en plus dans un monde de «
réseaux maillés » (téléphones cellulaires, réseaux WiFi, compteurs
intelligents) et la surcharge doit bien nous guetter quelque part. En
attendant le dernier mot là-dessus, je ne sais toujours pas pourquoi,
advenant mon refus d’un compteur intelligent, je devrais payer pour les
services de M. Hydro alors que dans le passé, c’était tout inclus - ce
que même nos élus trouvent fort en ketchup. En mai dernier, l’Assemblée
nationale adoptait une motion à l’unanimité enjoignant à Hydro-Québec «
de ne pas pénaliser financièrement ses clients qui ne veulent pas des
compteurs intelligents ».
Se réfugiant derrière l’autorisation obtenue à la Régie de l’énergie
pour son plan de modernisation, Hydro a fait la sourde oreille. Au bout
du fil, Patrice Lavoie, lui, commence à s’impatienter. « Ça fait 32
minutes que je vous parle, avez-vous encore bien des questions ? »
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