Jusqu’à récemment, il y avait un homme en uniforme, haut comme trois
pommes, plus petit que moi encore, c’est vous dire, le sourire accroché
en permanence, qui se pointait chez moi avec une régularité
déconcertante. Je l’appelais «M. Hydro», il m’appelait «Mme Pelletier»,
et on faisait ça vite. C’est pas long, prendre le pouls des lieux. À
vrai dire, ça lui prenait plus de temps d’enlever ses chouclaques, étant
gentleman dans l’âme et Japonais sur les bords, que de faire sa
besogne.
J’ai pensé à M. Hydro en recevant une lettre m’annonçant «
l’installation sans frais d’un compte de nouvelle génération ». On
n’arrête pas le progrès, dit essentiellement le communiqué. D’ailleurs,
peut-être êtes-vous parmi les 750 000 chanceux qui savent déjà qui, du
frigo, du lave-vaisselle ou du four micro-ondes, est le plus énergivore
chez vous ? Les nouveaux compteurs savent des choses que les MM. Hydro
et leurs compteurs à roulette ignoraient. Par exemple, si vous êtes à la
maison ou en vacances, et depuis combien de temps.
Au nom d’une meilleure qualité de services, Hydro-Québec a décidé de
remplacer tous ses compteurs électromécaniques « désuets » (dites ça à
M. Hydro) par des compteurs qui se lisent à distance. À l’oeuvre depuis
février 2013, opération Compteurs intelligents doit se poursuivre
jusqu’en 2018 et couvrir le Québec tout entier, au coût de 1 milliard.
Vous en avez sûrement entendu parler, si ce n’est qu’en trouvant un
petit collant sur votre boîte à lettres vous incitant à dire « non » à
cette nouvelle technologie.
Personnellement, je n’y avais pas fait très attention, mais la lettre
d’Hydro-Québec m’a mis la puce à l’oreille. On m’offre une nouvelle
technologie, gratos, en spécifiant que si j’opte pour le vieux modèle,
je devrai payer ? Le monde à l’envers. En effet, me confirme le service à
la clientèle, on vous installe le nouveau modèle pour rien, mais le
opting out coûtera 98 $ de frais d’installation (pour un modèle non
communicant), 137 $ si je tarde à m’inscrire en faux, et environ 207 $
par année par la suite. Décidément, être de la vieille école n’est pas
payant.
Normes de sécurité
Patrice Lavoie, un des 10 représentants médias à Hydro-Québec, tente
de m’éclairer. « Il y a plus de 100 compagnies d’électricité qui
utilisent aujourd’hui ce système ; il y a de grosses économies à faire
là-dedans », dit-il. En éliminant tous les MM. et Mmes Hydro, les
camions, l’essence, tout ce qui vient avec, et en soustrayant le
milliard de coûts d’installation, il s’agit d’une économie de « 200
millions sur 20 ans ».
Mais encore faut-il qu’Hydro respecte les échéances qu’elle s’est
données car, le high-tech a ça de particulier : il devient rapidement
déphasé. Selon l’analyste en énergie Jean-Pierre Blain, interrogé par Le
Devoir en juillet denier, on se dirige vers un « dépassement
significatif des coûts » à cause, notamment, de fatigantes comme moi qui
causent des retards d’installation. Ils sont entre 2500 (selon
Hydro-Québec) et 14 000 (selon les opposants) à barrer la route
aujourd’hui au nouveau système. Le mouvement de protestation repose
essentiellement sur les risques que posent les compteurs intelligents
pour la santé. Hydro-Québec assure, dépliant à l’appui, que l’exposition
aux radiofréquences est négligeable. L’Association québécoise de lutte
contre la pollution atmosphérique (AQLPA), qui mène la bataille, dit que
les normes de sécurité canadiennes sont basées sur des expositions de
courte durée. « Il n’y a pas eu de recherches à long terme sur de
faibles doses », dit Brigitte Blais. Se basant sur d’autres études,
l’AQLPA pense qu’il y a des effets biologiques bien en dessous de la
limite recommandée par Santé Canada.
À noter que Santé Canada mène en ce moment, par l’intermédiaire de la
Société royale canadienne, des consultations en vue de réviser les
normes de sécurité concernant l’exposition aux champs
électromagnétiques. Nous vivons de plus en plus dans un monde de «
réseaux maillés » (téléphones cellulaires, réseaux WiFi, compteurs
intelligents) et la surcharge doit bien nous guetter quelque part. En
attendant le dernier mot là-dessus, je ne sais toujours pas pourquoi,
advenant mon refus d’un compteur intelligent, je devrais payer pour les
services de M. Hydro alors que dans le passé, c’était tout inclus - ce
que même nos élus trouvent fort en ketchup. En mai dernier, l’Assemblée
nationale adoptait une motion à l’unanimité enjoignant à Hydro-Québec «
de ne pas pénaliser financièrement ses clients qui ne veulent pas des
compteurs intelligents ».
Se réfugiant derrière l’autorisation obtenue à la Régie de l’énergie
pour son plan de modernisation, Hydro a fait la sourde oreille. Au bout
du fil, Patrice Lavoie, lui, commence à s’impatienter. « Ça fait 32
minutes que je vous parle, avez-vous encore bien des questions ? »
mercredi 30 octobre 2013
mercredi 23 octobre 2013
Les Jeanne d'Arc
Dans ce débat trépidant, parfois insultant, toujours un peu
dangereux, une nouvelle division se fait sentir : droits individuels
contre droits collectifs. Depuis la phrase assassine de Djemila Benhabib
à l’endroit de Dalila Awada à TLMEP, « il faut sortir de votre moi pour
penser la société ! », la défense des droits individuels est devenue
presque une insulte. Remarquez, ça se prend mieux que « folles » ou «
femmes soumises», mais l’insinuation est qu’il y a là un nombrilisme
malsain, comparé à la défense magnanime de la nation. Le ministre
Drainville a eu sensiblement la même réaction à la suite de la mise en
garde de la Commission des droits de la personne, en laissant entendre
que la Charte des libertés devra se plier aux exigences de la laïcité,
plutôt que l’inverse.
Les défenseurs des droits collectifs ont certainement le beau rôle, d’autant plus que l’affirmation nationale est un « sport national » au Québec et qu’il a été particulièrement négligé depuis 15 ans. On se meurt d’envie de voir des gladiateurs dans l’arène. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de chrétiens à sauver de la bouche des lions. Le péril islamiste dont prétendent nous sauver les « Janette » et « Jeanne d’Arc » de ce monde n’existe pas. Au Québec, s’entend. Il existe très certainement dans des pays musulmans, mais le Québec ne sera jamais l’Algérie, l’Égypte, encore moins l’Afghanistan. Notre population musulmane est de moins de 2 %, ne risque pas du tout d’augmenter par les temps qui courent et elle est une des moins dévotes parmi les minorités religieuses. S’il faut garder un oeil ouvert vis-à-vis du fondamentalisme religieux, on serait mieux avisés de regarder du côté des évangéliques chrétiens, mais il serait surprenant que le gouvernement Marois, peu porté sur la vérification de terrain, se penche là-dessus.
De plus, l’interdiction du voile laisse les coudées franches aux quelques mosquées à Montréal financées par l’Arabie saoudite, tout en pénalisant les femmes qui ont le malheur de vouloir se couvrir la tête. Bref, non seulement ça ne diminue pas la menace intégriste, mais ça ouvre la porte à d’éventuelles poussées de radicalisme au sein d’une communauté d’ores et déjà discréditée et montrée du doigt.
Nous assistons ici à une déformation de la réalité qui, de plus, ouvre la porte aux insultes, au mépris et à l’ignorance. Ce n’est pas le seul détournement de sens au coeur de ce débat. L’idée, par exemple, que la laïcité et les droits de la femme vont de pair. Historiquement, c’est tout le contraire. Comme l’explique l’historienne Micheline Dumont, si le droit de vote, si cher à Janette Bertrand, a mis autant de temps à se réaliser en France (1944) et au Québec (1949), c’est notamment à cause des mouvements laïques. Les Québécoises ont été privées de leur droit de vote en 1834 par « nul autre que ces champions de laïcité qu’étaient les Patriotes », écrit-elle. C’est que la séparation de l’Église et de l’État a longtemps été de pair avec la séparation du privé et du public, ce qui impliquait de tenir les femmes loin de la politique et donc, du droit de vote.
Autre déformation dans ce débat : l’idée que les droits individuels sont de moindre « valeur ». Souvent assimilés ici aux « obsessions de Trudeau », on semble oublier que ce sont les droits individuels qui sont le fondement de la démocratie, non pas les droits collectifs. Sans l’application rigoureuse des libertés fondamentales, les Noirs seraient toujours esclaves et les femmes, confinées à leur cuisine. Ce sont les libertés individuelles qui protègent de la tyrannie, de l’arbitraire, de l’injustice et qui garantissent l’égalité des chances et la liberté d’expression.
Mais le détournement qui personnellement me pèse le plus concerne le féminisme. Dans ce débat à couteaux tirés, il y a deux conceptions du féminisme qui s’affrontent. Celle née il y a 40 ans, un féminisme idéologique, théorique, basé sur la dénonciation du patriarcat et l’oppression des femmes, et qui n’a pas vraiment changé depuis le début des années 70. Et puis, un féminisme plus pragmatique si on peut dire, moins symbolique, qui n’endosse pas nécessairement la candidature d’une femme simplement parce que c’est une femme, ou encore, qui encourage les hommes à prendre position dans les débats, plutôt que le contraire. Un féminisme qui considère que les choses peuvent changer, en d’autres mots, plutôt que l’inverse.
Au départ, tout mouvement idéologique a besoin d’être pur et dur, de mettre les points sur la table, afin de mieux prendre son envol. Mais vient le moment où c’est le contraire qui est souhaitable, où il faut cesser de généraliser pour regarder le cas par cas, ainsi que les nuances qui s’imposent. C’est ce passage du discours militant au discours, disons, plus humain qui est toujours le plus difficile à réussir, comme en fait foi le débat actuel.
Les défenseurs des droits collectifs ont certainement le beau rôle, d’autant plus que l’affirmation nationale est un « sport national » au Québec et qu’il a été particulièrement négligé depuis 15 ans. On se meurt d’envie de voir des gladiateurs dans l’arène. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de chrétiens à sauver de la bouche des lions. Le péril islamiste dont prétendent nous sauver les « Janette » et « Jeanne d’Arc » de ce monde n’existe pas. Au Québec, s’entend. Il existe très certainement dans des pays musulmans, mais le Québec ne sera jamais l’Algérie, l’Égypte, encore moins l’Afghanistan. Notre population musulmane est de moins de 2 %, ne risque pas du tout d’augmenter par les temps qui courent et elle est une des moins dévotes parmi les minorités religieuses. S’il faut garder un oeil ouvert vis-à-vis du fondamentalisme religieux, on serait mieux avisés de regarder du côté des évangéliques chrétiens, mais il serait surprenant que le gouvernement Marois, peu porté sur la vérification de terrain, se penche là-dessus.
De plus, l’interdiction du voile laisse les coudées franches aux quelques mosquées à Montréal financées par l’Arabie saoudite, tout en pénalisant les femmes qui ont le malheur de vouloir se couvrir la tête. Bref, non seulement ça ne diminue pas la menace intégriste, mais ça ouvre la porte à d’éventuelles poussées de radicalisme au sein d’une communauté d’ores et déjà discréditée et montrée du doigt.
Nous assistons ici à une déformation de la réalité qui, de plus, ouvre la porte aux insultes, au mépris et à l’ignorance. Ce n’est pas le seul détournement de sens au coeur de ce débat. L’idée, par exemple, que la laïcité et les droits de la femme vont de pair. Historiquement, c’est tout le contraire. Comme l’explique l’historienne Micheline Dumont, si le droit de vote, si cher à Janette Bertrand, a mis autant de temps à se réaliser en France (1944) et au Québec (1949), c’est notamment à cause des mouvements laïques. Les Québécoises ont été privées de leur droit de vote en 1834 par « nul autre que ces champions de laïcité qu’étaient les Patriotes », écrit-elle. C’est que la séparation de l’Église et de l’État a longtemps été de pair avec la séparation du privé et du public, ce qui impliquait de tenir les femmes loin de la politique et donc, du droit de vote.
Autre déformation dans ce débat : l’idée que les droits individuels sont de moindre « valeur ». Souvent assimilés ici aux « obsessions de Trudeau », on semble oublier que ce sont les droits individuels qui sont le fondement de la démocratie, non pas les droits collectifs. Sans l’application rigoureuse des libertés fondamentales, les Noirs seraient toujours esclaves et les femmes, confinées à leur cuisine. Ce sont les libertés individuelles qui protègent de la tyrannie, de l’arbitraire, de l’injustice et qui garantissent l’égalité des chances et la liberté d’expression.
Mais le détournement qui personnellement me pèse le plus concerne le féminisme. Dans ce débat à couteaux tirés, il y a deux conceptions du féminisme qui s’affrontent. Celle née il y a 40 ans, un féminisme idéologique, théorique, basé sur la dénonciation du patriarcat et l’oppression des femmes, et qui n’a pas vraiment changé depuis le début des années 70. Et puis, un féminisme plus pragmatique si on peut dire, moins symbolique, qui n’endosse pas nécessairement la candidature d’une femme simplement parce que c’est une femme, ou encore, qui encourage les hommes à prendre position dans les débats, plutôt que le contraire. Un féminisme qui considère que les choses peuvent changer, en d’autres mots, plutôt que l’inverse.
Au départ, tout mouvement idéologique a besoin d’être pur et dur, de mettre les points sur la table, afin de mieux prendre son envol. Mais vient le moment où c’est le contraire qui est souhaitable, où il faut cesser de généraliser pour regarder le cas par cas, ainsi que les nuances qui s’imposent. C’est ce passage du discours militant au discours, disons, plus humain qui est toujours le plus difficile à réussir, comme en fait foi le débat actuel.
mercredi 16 octobre 2013
La femme-produit
La vie, à défaut des débats télévisés, est
pleine de surprises.
Qui aurait cru que la seule femme candidate,
aussi la seule "jeune" dans la course à la mairie de Montréal, Mélanie
Joly, se retrouverait nez à nez avec le candidat vedette Marcel Côté? Il y a là
un exploit dont seule la principale intéressée, et peut-être sa mère et Gaëtan
Frigon, auraient pu deviner. Malgré la détermination, l'assurance et la belle
pancarte, Mélanie Joly passait difficilement la rampe médias, encore récemment.
Évidemment, c'est merveilleux qu'une jeune
femme ait envie de se lancer dans la course, vu l'absence des femmes en
politique municipale notamment. Mais c'est également un peu gênant de la voir
si mal préparée pour le job, comme s'il suffisait d'être femme et jeune pour
incarner le "vrai changement".
Je ne sais plus qui a dit : "Les femmes
auront atteint l'égalité quand il y aura une incompétente à la tête d'une
grosse entreprise". Le jour,
en d'autres mots, où les femmes n'auront pas à être trois fois plus qualifiées
qu'un homme pour accéder à un poste important. Il leur suffira, comme un homme,
d'avoir du front tout le tour de la tête. Il se peut donc que la recette
Mélanie Joly, je-ne-sais-trop-dans-quoi-je-m'embarque-mais-je-me-fais-extrêmement-confiance,
nous rapproche de cet idéal tant espéré. Ça tranche, en tout cas, avec la fâcheuse
tendance à se sous-estimer des femmes plus vieilles.
L'attitude winner de Mélanie ressemble d'ailleurs étrangement à celui de son
rival # 1, Denis Coderre. Chez ces deux candidats, on retrouve une pesante
assurance, une espèce de Yes, we can à
la Barack Obama mais en beaucoup plus narcissique, transformée en Yes, I can (Oui, je peux), qui fait
cruellement défaut à l'autre élément surprise dans cette course, Marcel Côté,
dont la voix perpétuellement grimpée dans les rideaux, beaucoup trop
vociférante, lui confère un air affolé qui le dessert, et le vieillit,
énormément. Quiconque a connu M. Côté dans son ancienne vie ne peut que s'en
étonner.
Est-ce cette fraîche assurance qui explique
l'étonnant score de Mélanie Joly lors du dernier sondage? En partie. Mais je
soupçonne la jeune candidate de bénéficier aussi d'un certain branding féminin très en vogue en ce moment.
Si j'étais elle, j'enverrais des fleurs à Véronique Cloutier dont le récent packaging en magazine glacé quatre
couleurs nous rappelle, non seulement son redoutable don d'ubiquité, mais
comment un certain modèle de femme --de 35-40 ans, blonde, souriante et confiante
à l'os-- a la cote actuellement.
Véro n'a rien inventé : ce modèle de femme
est de rigueur depuis au moins 15 ans à la télévision américaine, chez les lectrices
de nouvelles en particulier. Vous trouverez un autre exemple de cette image
féminine dans une publicité qui passe actuellement à Radio-Canada. Gros plan sur
une femme blonde aux yeux bleus ciel, redoutablement assurée, à l'allure très
professionnelle, mais aux propos franchement incompréhensibles. "Chez
nous, on calcule l'intégrale sur une base d'intégrité, on fait la différence
entre le flambage structural et le flambage de budget (...) et on sait que la
somme est assurément plus grande que ses parties".
C'est une pub, apprend-t-on à la fin de ce
charabia, pour la "nouvelle référence en ingénierie au Québec".
Impossible de dire, même après l'avoir entendu trois fois, ce que cette femme
dit vraiment. Mais quel aplomb! Quelle assurance! Un peu plus, et on voterait
pour elle.
Grâce à la télévision, ce modèle de femmes
--né, on soupçonne, avec les Barbies "astronaute",
"avocate" et "grand reporter" de la fin du siècle dernier--
est devenu une figure non seulement familière mais rassurante. Elle suscite
aujourd'hui l'adhésion. Dans une atmosphère empestée de corruption, en plus, le
simple fait d'être jeune, blonde et femme suinte la pureté, du moins, subliminale.
La candidature de Mélanie Joly semble en avoir bénéficier. Mais de là à penser
remporter la mise? Il y a loin de la "course" aux lèvres. Pour l'instant, Madame
Joly profite des apparences, du symbolisme rattaché à son sexe et à son âge, et
tant pis pour l'expertise et l'inspiration --exactement l'envers de Richard
Bergeron, en fait, de loin le candidat le plus solide mais dont l'apparence nerd n'inspire pas.
Mais le jour viendra où les Montréalais voudront
plus qu'une simple promotion publicitaire --souhaitons-nous, du moins, ce
moment de grâce. À ce moment-là, la marque sur laquelle s'appuie la candidature
de Mélanie Joly pourrait très bien jouer contre elle.
mercredi 9 octobre 2013
Le grand jeu nationaliste
Imaginez un immense jeu de serpents et échelles. La case départ
indique « 30 octobre 1995 » ; la case arrivée, « 3 octobre 2013 », un
écart de 18 ans durant lequel se tord, se triture et, finalement, se
transforme le nationalisme québécois. C’est le but du jeu : de montrer
comment, entre deux paroles célèbres prononcées par le grand-père de la
nation, Jacques Parizeau, l’humeur nationaliste a connu bien plus que de
simples variations. Entre « l’argent et des votes ethniques » du 30
octobre 1995 et « le feu commence à prendre dans notre société » de
jeudi dernier, c’est à une métamorphose de l’idée même de la nation
qu’on assiste. Cette trajectoire en dents de scie - qui,
personnellement, me trouble et me fascine à la fois -, je la vois comme
suit.
Le 30 octobre 1995, le nationalisme québécois est toujours bon enfant, c’est-à-dire de centre gauche, tentant d’inclure plutôt que d’exclure, soucieux d’intégrer le plus d’immigrants possible, sachant très bien qu’on ne parviendra pas au « grand jour » sans renforts venus d’ailleurs. Le tristement célèbre « l’argent et des votes ethniques », ce soir-là, n’est indicatif ni de l’homme qui le prononce - comme en fait foi la carrière entière de Jacques Parizeau, ainsi que ses dernières déclarations - ni de bon nombre de gens qui souscrivent au mouvement nationaliste et qui se retrouvent, d’ailleurs, horrifiés par ce serpent qui siffle tout à coup sur leur tête. Cela dit, la phrase a un effet de guillotine. À partir de ce moment, ceux qui croient que Parizeau a fait un tort incommensurable au mouvement souverainiste redoublent de précautions et d’ardeur envers « l’autre ». Le Bloc québécois, notamment, est très actif sur la question du pluralisme et y consacre son Congrès national en 1999. Ceux, par contre, qui croient que l’ex-premier ministre a simplement dit la vérité rongent leur frein. Du moins, pour l’instant.
Il y a toujours eu, bien sûr, un nationalisme de droite au Québec. Mais depuis la création du Mouvement Souveraineté-Association de René Lévesque en 1968, ses adhérents ont très peu d’ascendant intellectuel. L’Action nationale ? Qui le lit ou s’en soucie vraiment ? Pendant 25 ans, le nationalisme de centre droit est relégué dans des coins assez obscurs de la scène québécoise. Ah, mais la phrase de Parizeau et le mouvement de répulsion qui s’en est suivi vont changer tout ça.
Nouvelle vague
Impossible de dire quand exactement le nationalisme québécois « ouvert sur le monde » va retourner sa veste pour devenir un nationalisme « d’affirmation identitaire », comme on le voit aujourd’hui, mais le mouvement s’amorce indubitablement en réaction à la honte nationale qui suit la bourde de l’ex-premier ministre. Petit à petit, l’exaspération devant cette gauche « cosmopolite » prête à se piler dessus au nom de « l’ouverture à l’autre », l’irritation devant ce « vertueux reniement de soi », railleries souvent entendues aujourd’hui autour du débat sur la Charte, laissent des traces. D’abord, au Département de sociologie de l’UQAM, le haut lieu de la résistance canadienne-française. Ensuite, dans des événements et prises de paroles de plus en plus remarqués, dont ce manifeste, publié en janvier 2013, de Génération Nationale (GN), d’où viennent les expressions citées plus haut. Groupe de jeunes nationalistes, GN prône, en fait, à peu près ce que prône le PQ aujourd’hui : la primauté de l’identité québécoise, le danger du multiculturalisme, la laïcité fermée et le maintien des crucifix au nom du patrimoine culturel.
C’est en faisant de la recherche sur le Bloc québécois, il y a deux ans, que j’ai découvert ce nouveau mouvement nationaliste, majoritairement masculin, soit dit en passant, réactionnaire, dans le sens littéral du mot (en réaction à…), de centre droit, et surtout, de plus en plus en vue. Qui aujourd’hui ne connaît pas Éric Bédard, Mathieu Bock-Côté, ou même le président de Génération Nationale, anciennement président du Forum jeunesse du Bloc (et un nom qui ne s’oublie pas), Simon-Pierre Savard-Tremblay ?
La première chose qui frappe chez cette nouvelle vague, c’est l’érudition, la pensée étoffée, la capacité d’analyse. On est loin ici de l’Union nationale ou même de Mario Dumont. Il y a ici une force intellectuelle à laquelle la droite québécoise nous a peu habitués, et qui, pour la première fois en 25 ans, inspire les hautes instances du PQ. Tout un changement, comme d’ailleurs le soulignait M. Parizeau dans sa lettre au Journal de Montréal. Or, il faut se demander, non seulement si on veut du projet de charte péquiste tel que présenté, mais si c’est de ce nationalisme-là dont on a envie. Celui où « la nation n’a pour nous rien d’une communauté de valeurs ou de tendances politiques », mais où « elle est une communauté historique avant toute chose ».
Le 30 octobre 1995, le nationalisme québécois est toujours bon enfant, c’est-à-dire de centre gauche, tentant d’inclure plutôt que d’exclure, soucieux d’intégrer le plus d’immigrants possible, sachant très bien qu’on ne parviendra pas au « grand jour » sans renforts venus d’ailleurs. Le tristement célèbre « l’argent et des votes ethniques », ce soir-là, n’est indicatif ni de l’homme qui le prononce - comme en fait foi la carrière entière de Jacques Parizeau, ainsi que ses dernières déclarations - ni de bon nombre de gens qui souscrivent au mouvement nationaliste et qui se retrouvent, d’ailleurs, horrifiés par ce serpent qui siffle tout à coup sur leur tête. Cela dit, la phrase a un effet de guillotine. À partir de ce moment, ceux qui croient que Parizeau a fait un tort incommensurable au mouvement souverainiste redoublent de précautions et d’ardeur envers « l’autre ». Le Bloc québécois, notamment, est très actif sur la question du pluralisme et y consacre son Congrès national en 1999. Ceux, par contre, qui croient que l’ex-premier ministre a simplement dit la vérité rongent leur frein. Du moins, pour l’instant.
Il y a toujours eu, bien sûr, un nationalisme de droite au Québec. Mais depuis la création du Mouvement Souveraineté-Association de René Lévesque en 1968, ses adhérents ont très peu d’ascendant intellectuel. L’Action nationale ? Qui le lit ou s’en soucie vraiment ? Pendant 25 ans, le nationalisme de centre droit est relégué dans des coins assez obscurs de la scène québécoise. Ah, mais la phrase de Parizeau et le mouvement de répulsion qui s’en est suivi vont changer tout ça.
Nouvelle vague
Impossible de dire quand exactement le nationalisme québécois « ouvert sur le monde » va retourner sa veste pour devenir un nationalisme « d’affirmation identitaire », comme on le voit aujourd’hui, mais le mouvement s’amorce indubitablement en réaction à la honte nationale qui suit la bourde de l’ex-premier ministre. Petit à petit, l’exaspération devant cette gauche « cosmopolite » prête à se piler dessus au nom de « l’ouverture à l’autre », l’irritation devant ce « vertueux reniement de soi », railleries souvent entendues aujourd’hui autour du débat sur la Charte, laissent des traces. D’abord, au Département de sociologie de l’UQAM, le haut lieu de la résistance canadienne-française. Ensuite, dans des événements et prises de paroles de plus en plus remarqués, dont ce manifeste, publié en janvier 2013, de Génération Nationale (GN), d’où viennent les expressions citées plus haut. Groupe de jeunes nationalistes, GN prône, en fait, à peu près ce que prône le PQ aujourd’hui : la primauté de l’identité québécoise, le danger du multiculturalisme, la laïcité fermée et le maintien des crucifix au nom du patrimoine culturel.
C’est en faisant de la recherche sur le Bloc québécois, il y a deux ans, que j’ai découvert ce nouveau mouvement nationaliste, majoritairement masculin, soit dit en passant, réactionnaire, dans le sens littéral du mot (en réaction à…), de centre droit, et surtout, de plus en plus en vue. Qui aujourd’hui ne connaît pas Éric Bédard, Mathieu Bock-Côté, ou même le président de Génération Nationale, anciennement président du Forum jeunesse du Bloc (et un nom qui ne s’oublie pas), Simon-Pierre Savard-Tremblay ?
La première chose qui frappe chez cette nouvelle vague, c’est l’érudition, la pensée étoffée, la capacité d’analyse. On est loin ici de l’Union nationale ou même de Mario Dumont. Il y a ici une force intellectuelle à laquelle la droite québécoise nous a peu habitués, et qui, pour la première fois en 25 ans, inspire les hautes instances du PQ. Tout un changement, comme d’ailleurs le soulignait M. Parizeau dans sa lettre au Journal de Montréal. Or, il faut se demander, non seulement si on veut du projet de charte péquiste tel que présenté, mais si c’est de ce nationalisme-là dont on a envie. Celui où « la nation n’a pour nous rien d’une communauté de valeurs ou de tendances politiques », mais où « elle est une communauté historique avant toute chose ».
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