Y a-t-il un lien entre le débat sur la
charte des valeurs québécoises et le geste haineux à la mosquée de Saguenay en
fin de semaine? Difficile à dire. Les crimes haineux, notamment en ce qui
concerne la religion, sont à la hausse au Québec. Donc, à prévoir.
Curieusement, alors que ce type de crime
est à la baisse ailleurs au Canada, il augmente ici. Hausse de 13% en 2012,
selon les statistiques du ministère de la Sécurité publique du Québec. Ailleurs
au Canada, également, le crime haineux vise majoritairement des gens de race ou
d'ethnie différente, alors qu'ici, depuis quelques années, le geste vise
davantage la religion, et les musulmans sont de plus en plus touchés. Les anomalies
entre le Québec et le reste du Canada ne s'arrêtent pas là. Le crime haineux est
surtout un phénomène urbain mais, au Québec, les deux grandes instances
d'islamophobie ont eu lieu à Hérouxville et maintenant à Saguenay, à mille
lieux des grandes villes.
Y a-t-il alors un lien entre parler
d'accommodements, de prières et de symboles religieux et créer des poudrières
en région? Impossible de le jurer mais disons que si la tendance se
maintient...
Evidemment, du maire Tremblay au ministre
Bédard, en passant par les musulmans du Saguenay, on dit exactement le
contraire: "incident
isolé", un "fou", un "stupide", rien à voir avec nous.
C'est toujours la même rengaine chaque fois que se produit un incident
choquant, violent, qui remet en question l'image que nous nous faisons de
nous-mêmes. Le problème c'est que même les fous et les stupides prennent leur
inspiration de quelque part.
S'il y a toujours eu raison de questionner
la décision du gouvernement Marois de baptiser la laïcité de "valeur
québécoise", il y a, depuis ce déplorable incident à Saguenay, un besoin
criant de recentrer le débat. Plus on gomme la laïcité d'un vernis identitaire,
plus on ouvre la porte aux dérapages de type "nous et eux". Plus on
invite les gens en région, qui ont moins d'accointances avec la diversité
culturelle, de partir en peur. Rappelons qu'en février dernier, la Fédération
des Québécois de souche de Chicoutimi (sic) ont distribué un tract dénonçant
l'immigration. De la petite bière comparé à la dégradation d'une mosquée mais
on note le penchant. De plus, la mosquée de Saguenay, qui a été éclaboussée de
sang de porc et sommée de "s'intégrer", ou plier bagages, parait assez
modérée.
"La mosquée a été créée afin d'éviter la
création de salles de prières dans les lieux d'enseignement", dit son
dirigeant Mustapha Élayoubi. Elle cherche à éviter les
situations d'accommodement raisonnable, en d'autres mots. Ce n'est donc pas les
exigences religieuses qui ont mis ici le feu aux poudres, mais le simple fait
de la différence. À la place de Pauline Marois, ou le maire Tremblay, je serais
un peu inquiète.
Comparez cette petite mosquée bien discrète,
maintenant, avec la communauté hassidique à Outremont. Ils sont ici des
milliers --un cinquième de la population, en fait-- qui tous les jours envahissent les rues, de Jeanne Mance à
Champagneur et de Fairmount à Van Horne, visiblement différents, visiblement non
"intégrés", menant leur vie en parallèle, sans demander rien à personne
sauf peut-être le respect. Deux mondes, deux planètes, qui ne partagent pas
grand chose sauf le désir de vivre leur vie comme ils l'entendent, côte à côte.
Et ça marche. Il y a bien sûr un petit accrochage de temps en temps, il y a
aussi quelque chose d'un peu surréaliste dans tout ça, on se croirait sur un
plateau de cinéma, mais il n'y a pas de sang sur les murs des synagogues ni
même de graffitis. On n'entend pas les gens se plaindre les uns des autres non
plus --du moins, ouvertement. Il y a dans ce quadrilatère d'Outremont ce qui
nous fait raffoler, disons, de New York, quelque chose de chaotique et fluide
en même temps, quelque chose de profondément énergisant car puisant dans les
quatre coins de l'humanité avec ce qu'elle comporte de troublant, de différent
et d'édifiant.
Personnellement, c'est dans ce Québec-là
que je veux vivre. Pas tellement, dans celui qui se fait du sang de cochon.
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