Des deux, je ne sais lequel m’a le plus impressionnée. Après 35 ans
de prêchi-prêcha condamnant la contraception, l’avortement et
l’homosexualité, le pape François, un pape décidément pas comme les
autres, s’est dit fatigué de ressasser les mêmes vieilles affaires. Pour
un instant, la vaste communauté catholique a retenu son souffle. Se
pourrait-il que le jefe santo tourne le dos aux dogmes catholiques ?
L’Église serait-elle sur le point de changer de cap ? Mais rien n’est
mois sûr. Deux jours plus tard, le Saint-Père y allait d’une
condamnation de l’avortement devant une assemblée de gynécologues.
C’est que le nouveau pape comprend le jeu du marketing ; il comprend
qu’on peut présenter le produit autrement, sans nécessairement changer
de produit (un peu comme le Parti québécois, ces temps-ci). Ça n’en fait
pas un révolutionnaire pour autant.
Mon vote va donc à Julie Miville-Dechêne, dont l’inorthodoxie est
beaucoup plus convaincante. En dénonçant les « pressions politiques » de
la part du gouvernement, la présidente du Conseil du statut de la femme
a également tourné le dos aux positions antérieures du CSF sur le port
de signes religieux. Ce n’est pas rien. Avant que n’éclate la
controverse sur la Charte des valeurs, la position du CSF était vue
comme la position féministe officielle sur la laïcité. Son avis,
Affirmer la laïcité, a dû d’ailleurs servir d’inspiration au
gouvernement Marois tellement l’équation entre l’interdiction du voile
et l’égalité hommes-femmes est soulignée à gros traits.
À l’époque, le CSF sommait le gouvernement Charest d’aller plus loin
que la loi 94, qui cherchait à interdire le port du voile intégral, en
prohibant tout signe religieux dans la fonction publique. De plus,
l’avis cite une étude de la Commission des droits de la personne
désavouant la notion selon laquelle les femmes musulmanes sont indûment
affectées par une telle mesure. « Cet argument est fallacieux, puisqu’il
suppose d’abord que les personnes immigrantes sont croyantes et
pratiquantes à un point tel qu’elles souhaiteraient manifester leur foi
durant leur travail. La Commission des droits a réalisé une étude qui
dément cette croyance », dit l’avis du CSF.
Seulement, ce n’est pas du tout ce que dément l’étude réalisée par la
Commission. Intitulée La ferveur religieuse et les demandes
d’accommodement religieux, l’étude réalisée en 2007 nie qu’il y ait un
lien systématique entre la dévotion et les demandes d’accommodement. Au
passage, la Commission note que « les immigrants musulmans du Québec
affichent globalement un niveau de religiosité extrêmement faible ». Ce
qui n’est pas du tout la même chose que d’affirmer qu’il n’y aura pas
d’effets sur les femmes musulmanes obligées d’enlever leur voile dans la
fonction publique, ou ailleurs. Une telle affirmation tient de la
pensée magique de la part du CSF.
De la nécessité des études
On voit alors combien Julie Miville-Dechêne a raison d’insister sur
des études. Non seulement on ne sait rien sur le nombre ou genre de
personnes qui seraient affectées par l’application éventuelle d’une
charte de la laïcité, mais les études existantes sont utilisées à tort
et à travers. Or, plus la controverse entourant la charte se poursuit,
plus le besoin de démentir les légendes urbaines se fait sentir.
On ne sait pas, par exemple, précisément combien de femmes portent le
voile au Québec, combien le font par conviction religieuse ou par
identité culturelle, ce qui n’est pas du tout la même chose, combien le
font pour emmerder leurs parents ou, désormais, les catho-laïcs, ou
encore pour des raisons esthétiques. Et encore moins, combien sont
forcées de le faire. L’auteure de The Muslim Veil in North America, Homa
Hoodfar de l’Université Concordia, affirme, pour sa part, que toutes
les Québécoises qu’elle a interrogées disent le porter par choix.
Faire une équation stricte entre le voile et la soumission des femmes
est aussi fallacieux que de faire une équation entre les crânes rasés
et le néonazisme, ou encore, le hip-hop et la misogynie. Même à leur
plus déplorable, nous ne songerions jamais à légiférer de telles
pratiques, liberté de conscience oblige.
Il y a beaucoup d’ignorance concernant le voile, mais encore
davantage face à l’Islam. Encore une fois, on semble faire une équation
automatique ici entre Islam et intégrisme, même si l’étude de la
Commission des droits, mentionnée plus haut, établit, au contraire, que
l’Islam compte moins de dévots que la religion juive ou les Témoins de
Jéhovah. Une étude serait bienvenue là-dessus.
Et puisque nous n’avons d’yeux que pour une chose, l’égalité
hommes-femmes, il faudrait aussi une étude pour nous dire comment (enfin
!) y arriver. Je doute fort que le port du voile pèse lourd dans cette
balance.
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