Des deux, je ne sais lequel m’a le plus impressionnée. Après 35 ans
de prêchi-prêcha condamnant la contraception, l’avortement et
l’homosexualité, le pape François, un pape décidément pas comme les
autres, s’est dit fatigué de ressasser les mêmes vieilles affaires. Pour
un instant, la vaste communauté catholique a retenu son souffle. Se
pourrait-il que le jefe santo tourne le dos aux dogmes catholiques ?
L’Église serait-elle sur le point de changer de cap ? Mais rien n’est
mois sûr. Deux jours plus tard, le Saint-Père y allait d’une
condamnation de l’avortement devant une assemblée de gynécologues.
C’est que le nouveau pape comprend le jeu du marketing ; il comprend
qu’on peut présenter le produit autrement, sans nécessairement changer
de produit (un peu comme le Parti québécois, ces temps-ci). Ça n’en fait
pas un révolutionnaire pour autant.
Mon vote va donc à Julie Miville-Dechêne, dont l’inorthodoxie est
beaucoup plus convaincante. En dénonçant les « pressions politiques » de
la part du gouvernement, la présidente du Conseil du statut de la femme
a également tourné le dos aux positions antérieures du CSF sur le port
de signes religieux. Ce n’est pas rien. Avant que n’éclate la
controverse sur la Charte des valeurs, la position du CSF était vue
comme la position féministe officielle sur la laïcité. Son avis,
Affirmer la laïcité, a dû d’ailleurs servir d’inspiration au
gouvernement Marois tellement l’équation entre l’interdiction du voile
et l’égalité hommes-femmes est soulignée à gros traits.
À l’époque, le CSF sommait le gouvernement Charest d’aller plus loin
que la loi 94, qui cherchait à interdire le port du voile intégral, en
prohibant tout signe religieux dans la fonction publique. De plus,
l’avis cite une étude de la Commission des droits de la personne
désavouant la notion selon laquelle les femmes musulmanes sont indûment
affectées par une telle mesure. « Cet argument est fallacieux, puisqu’il
suppose d’abord que les personnes immigrantes sont croyantes et
pratiquantes à un point tel qu’elles souhaiteraient manifester leur foi
durant leur travail. La Commission des droits a réalisé une étude qui
dément cette croyance », dit l’avis du CSF.
Seulement, ce n’est pas du tout ce que dément l’étude réalisée par la
Commission. Intitulée La ferveur religieuse et les demandes
d’accommodement religieux, l’étude réalisée en 2007 nie qu’il y ait un
lien systématique entre la dévotion et les demandes d’accommodement. Au
passage, la Commission note que « les immigrants musulmans du Québec
affichent globalement un niveau de religiosité extrêmement faible ». Ce
qui n’est pas du tout la même chose que d’affirmer qu’il n’y aura pas
d’effets sur les femmes musulmanes obligées d’enlever leur voile dans la
fonction publique, ou ailleurs. Une telle affirmation tient de la
pensée magique de la part du CSF.
De la nécessité des études
On voit alors combien Julie Miville-Dechêne a raison d’insister sur
des études. Non seulement on ne sait rien sur le nombre ou genre de
personnes qui seraient affectées par l’application éventuelle d’une
charte de la laïcité, mais les études existantes sont utilisées à tort
et à travers. Or, plus la controverse entourant la charte se poursuit,
plus le besoin de démentir les légendes urbaines se fait sentir.
On ne sait pas, par exemple, précisément combien de femmes portent le
voile au Québec, combien le font par conviction religieuse ou par
identité culturelle, ce qui n’est pas du tout la même chose, combien le
font pour emmerder leurs parents ou, désormais, les catho-laïcs, ou
encore pour des raisons esthétiques. Et encore moins, combien sont
forcées de le faire. L’auteure de The Muslim Veil in North America, Homa
Hoodfar de l’Université Concordia, affirme, pour sa part, que toutes
les Québécoises qu’elle a interrogées disent le porter par choix.
Faire une équation stricte entre le voile et la soumission des femmes
est aussi fallacieux que de faire une équation entre les crânes rasés
et le néonazisme, ou encore, le hip-hop et la misogynie. Même à leur
plus déplorable, nous ne songerions jamais à légiférer de telles
pratiques, liberté de conscience oblige.
Il y a beaucoup d’ignorance concernant le voile, mais encore
davantage face à l’Islam. Encore une fois, on semble faire une équation
automatique ici entre Islam et intégrisme, même si l’étude de la
Commission des droits, mentionnée plus haut, établit, au contraire, que
l’Islam compte moins de dévots que la religion juive ou les Témoins de
Jéhovah. Une étude serait bienvenue là-dessus.
Et puisque nous n’avons d’yeux que pour une chose, l’égalité
hommes-femmes, il faudrait aussi une étude pour nous dire comment (enfin
!) y arriver. Je doute fort que le port du voile pèse lourd dans cette
balance.
mercredi 25 septembre 2013
mercredi 18 septembre 2013
La Charte de la chicane
Je ne sais pas pour vous, mais la Charte des valeurs québécoises est
un sujet de discussion constante autour de moi. D’engueulade aussi. Et
ce n’est pas, n’en déplaise au ministre Bernard Drainville, parce qu’on
est incapable d’en discuter posément. C’est parce qu’il y a énormément
en jeu. Aussi parce que le débat oppose des gens qui généralement
s’entendent : des indépendantistes, des féministes, des pratiquants
religieux… L’expulsion de Maria Mourani nous l’aura fait comprendre : le
potentiel de mésentente est plus grand que jamais.
C’est ainsi que je me suis retrouvée à m’engueuler, un soir de gala, avec le chum d’une amie. Ce qu’on n’a pas vu venir, ni l’un ni l’autre, et qui a laissé une drôle d’impression.
Ça vous est peut-être arrivé, lors d’un souper de famille, de vous retrouver soudainement à couteaux tirés avec votre cousin, votre beau-frère ou même votre propre soeur, une personne que vous croyez bien connaître et avec qui vous avez beaucoup de choses en commun. Et, bingo, vous ne la reconnaissez plus. Sentiment étrange de trahison, d’insulte même, qui ne se produirait probablement pas avec un étranger. Comment peut-elle penser une chose pareille ?…
Bien sûr, ce n’est pas parce qu’on vient de la même famille qu’on est toujours de la même famille. On finit par le comprendre et, éventuellement, l’accepter. On ne passe pas si facilement l’éponge quand il s’agit de quelqu’un censé avoir les mêmes « valeurs ». Ce qui me ramène au chum de mon amie qui, sans avoir mené les mêmes batailles que moi, regarde, disons, dans la même direction. Et pourtant, il est fier de la Charte proposée par le gouvernement Marois, ne voit pas là de discrimination envers les minorités religieuses, ni de menace aux droits fondamentaux. Il voit une grande avancée vers la « modernité ». Je pense bien que c’est le mot qu’il a utilisé. Comme pour l’historien Yvan Lamonde, interviewé dans Le Devoir cette semaine, il voit cette Charte comme le parachèvement de la laïcisation entrepris durant la Révolution tranquille.
Au bout de quinze minutes de verbe haut et de veines dans le cou, on était d’accord sur seulement deux points (mis à part le principe de laïcité, sur lequel à peu près tout le monde s’entend). Un, le crucifix n’a pas sa place à l’Assemblée nationale, et deux, les principes fondamentaux sont des vases communicants. On ne peut minimiser le droit à la pratique religieuse sans que le droit à l’égalité hommes-femmes, par exemple, soit affaibli aussi. Juger un droit, déjà reconnu comme vital à l’épanouissement humain, moins « fondamental » qu’un autre ouvre la porte au relativisme de tous les autres droits. Mais, sur le fond, on est restés, bien qu’assis quasi côte à côte (c’est mon amie, la pauvre, qui nous séparait), à des années-lumière.
Clivage entre générations
Considérant quelqu’un qui vit comme moi, qui veut essentiellement les mêmes choses de la vie, les mêmes choses également pour le Québec, qu’est-ce qui explique tout à coup ce fossé ? Qu’est-ce qui explique qu’il est prêt à pardonner les contradictions de la Charte, dont cet invraisemblable crucifix, et les manoeuvres grossièrement électoralistes du PQ, et pas moi ?
Il me semble que ce qui sépare, ici, c’est l’idée qu’on se fait du Québec. D’ailleurs, le dernier sondage indiquant un clivage entre générations - les plus vieux appuient la Charte, les plus jeunes, beaucoup moins - est un exemple de ce que je veux dire. L’idée de cette Charte repose sur un retour en arrière, au temps où les femmes étaient soumises à leur mari et que tout le monde croupissait sous la férule de l’Église. Quand des femmes d’un certain âge affirment « oui à la modernité, non au Moyen-Âge », c’est une transposition directe de leurs souvenirs qu’on entend. Cette vision du pays en est une où les Québécois, et surtout les Québécoises, sont encore des victimes. Il faudrait donc, et de toute urgence, se lever et s’affranchir des forces obscurantistes.
Les plus jeunes, qui, règle générale, ne se voient pas comme des victimes, se reconnaissent difficilement dans cette déformation de la réalité. Ce qui s’est passé dans les années 1960, « l’enjeu démocratique », pour reprendre les termes d’Yvan Lamonde, ne représente pas l’enjeu d’aujourd’hui. À l’époque, il s’agissait de s’affranchir d’un siècle de domination ecclésiastique, ce qui s’est fait de façon largement volontaire, avec le concours de Vatican II, qui incitait les religieux à laisser leurs habits. Aujourd’hui, l’enjeu démocratique concerne essentiellement l’intégration de minorités culturelles. Avant, il s’agissait que de « nous ». Aujourd’hui, il s’agit de la conjugaison (forcée) de nous et des autres. Beaucoup plus difficile, comme l’indique l’étendue de la mésentente, à réaliser.
C’est ainsi que je me suis retrouvée à m’engueuler, un soir de gala, avec le chum d’une amie. Ce qu’on n’a pas vu venir, ni l’un ni l’autre, et qui a laissé une drôle d’impression.
Ça vous est peut-être arrivé, lors d’un souper de famille, de vous retrouver soudainement à couteaux tirés avec votre cousin, votre beau-frère ou même votre propre soeur, une personne que vous croyez bien connaître et avec qui vous avez beaucoup de choses en commun. Et, bingo, vous ne la reconnaissez plus. Sentiment étrange de trahison, d’insulte même, qui ne se produirait probablement pas avec un étranger. Comment peut-elle penser une chose pareille ?…
Bien sûr, ce n’est pas parce qu’on vient de la même famille qu’on est toujours de la même famille. On finit par le comprendre et, éventuellement, l’accepter. On ne passe pas si facilement l’éponge quand il s’agit de quelqu’un censé avoir les mêmes « valeurs ». Ce qui me ramène au chum de mon amie qui, sans avoir mené les mêmes batailles que moi, regarde, disons, dans la même direction. Et pourtant, il est fier de la Charte proposée par le gouvernement Marois, ne voit pas là de discrimination envers les minorités religieuses, ni de menace aux droits fondamentaux. Il voit une grande avancée vers la « modernité ». Je pense bien que c’est le mot qu’il a utilisé. Comme pour l’historien Yvan Lamonde, interviewé dans Le Devoir cette semaine, il voit cette Charte comme le parachèvement de la laïcisation entrepris durant la Révolution tranquille.
Au bout de quinze minutes de verbe haut et de veines dans le cou, on était d’accord sur seulement deux points (mis à part le principe de laïcité, sur lequel à peu près tout le monde s’entend). Un, le crucifix n’a pas sa place à l’Assemblée nationale, et deux, les principes fondamentaux sont des vases communicants. On ne peut minimiser le droit à la pratique religieuse sans que le droit à l’égalité hommes-femmes, par exemple, soit affaibli aussi. Juger un droit, déjà reconnu comme vital à l’épanouissement humain, moins « fondamental » qu’un autre ouvre la porte au relativisme de tous les autres droits. Mais, sur le fond, on est restés, bien qu’assis quasi côte à côte (c’est mon amie, la pauvre, qui nous séparait), à des années-lumière.
Clivage entre générations
Considérant quelqu’un qui vit comme moi, qui veut essentiellement les mêmes choses de la vie, les mêmes choses également pour le Québec, qu’est-ce qui explique tout à coup ce fossé ? Qu’est-ce qui explique qu’il est prêt à pardonner les contradictions de la Charte, dont cet invraisemblable crucifix, et les manoeuvres grossièrement électoralistes du PQ, et pas moi ?
Il me semble que ce qui sépare, ici, c’est l’idée qu’on se fait du Québec. D’ailleurs, le dernier sondage indiquant un clivage entre générations - les plus vieux appuient la Charte, les plus jeunes, beaucoup moins - est un exemple de ce que je veux dire. L’idée de cette Charte repose sur un retour en arrière, au temps où les femmes étaient soumises à leur mari et que tout le monde croupissait sous la férule de l’Église. Quand des femmes d’un certain âge affirment « oui à la modernité, non au Moyen-Âge », c’est une transposition directe de leurs souvenirs qu’on entend. Cette vision du pays en est une où les Québécois, et surtout les Québécoises, sont encore des victimes. Il faudrait donc, et de toute urgence, se lever et s’affranchir des forces obscurantistes.
Les plus jeunes, qui, règle générale, ne se voient pas comme des victimes, se reconnaissent difficilement dans cette déformation de la réalité. Ce qui s’est passé dans les années 1960, « l’enjeu démocratique », pour reprendre les termes d’Yvan Lamonde, ne représente pas l’enjeu d’aujourd’hui. À l’époque, il s’agissait de s’affranchir d’un siècle de domination ecclésiastique, ce qui s’est fait de façon largement volontaire, avec le concours de Vatican II, qui incitait les religieux à laisser leurs habits. Aujourd’hui, l’enjeu démocratique concerne essentiellement l’intégration de minorités culturelles. Avant, il s’agissait que de « nous ». Aujourd’hui, il s’agit de la conjugaison (forcée) de nous et des autres. Beaucoup plus difficile, comme l’indique l’étendue de la mésentente, à réaliser.
mercredi 11 septembre 2013
Pourquoi suivre la France?
Au moment d’écrire ces lignes, on ignore toujours la teneur
exacte de la Charte des valeurs québécoises. Mais, si l’information
coulée aux médias est exacte, on voit déjà ce qui risque de rallier la
population, comme ce qui risque de la diviser davantage.
Des cinq volets proposés par le ministre Drainville, les trois premiers passent comme du beurre dans la poêle : 1. affirmer la neutralité de l’État comme valeur commune ; 2. établir l’égalité hommes-femmes de façon plus explicite dans la Charte québécoise des droits ; 3. imposer des directives à la fonction publique interdisant les demandes discriminatoires (exemple : exiger de traiter avec un homme plutôt qu’une femme).
Ce sont les deux derniers volets qui font problème : l’interdiction de porter des signes religieux dans les institutions publiques et parapubliques, pour ne rien dire du maintien des crucifix dans les conseils de ville et au Salon bleu. À ce chapitre, on s’explique mal l’entêtement du gouvernement Marois tellement le geste est contradictoire, pour ne pas dire un énorme pied de nez à tous ceux et celles qui devront, eux, se dévêtir de leurs symboles religieux.
Une telle obstination a une explication probable : le modèle français. C’est l’exemple de la France qui souffle au gouvernement ses propositions les plus audacieuses, dont l’interdiction de porter des signes religieux. Personnellement, je trouve curieux qu’on veuille imiter un modèle qui n’a inspiré personne d’autre, même pas un autre pays européen, et qui est loin d’avoir clos la question ou mis fin aux tensions raciales au pays de Jeanne d’Arc.
Et pourquoi s’inspirer de la France aujourd’hui, alors qu’en éducation, par exemple, on a raté une belle occasion de le faire, il y a un an ? Mis à part certaines mesures de promotion culturelle, le fait est qu’on s’inspire peu de la France. Et pour cause : historiquement, géographiquement, politiquement, même socialement, nous sommes très éloignés l’un de l’autre. C’est d’ailleurs quelque chose qui saute au visage la première fois qu’on met les pieds là-bas. On sent les codes, les hiérarchies, les bonnes et les mauvaises façons de faire, l’énorme fossé qui sépare le Nouveau Monde, plus spontané, mais toujours un peu dégingandé, de l’ancien, plus formel, mais toujours un peu guindé.
Encore plus que ses voisins européens, la France est un pays qui est en amour avec ses propres rituels, en amour aussi avec les apparences, quiconque s’est fait rappeler son accent québécois en sait quelque chose, on s’en prend rapidement à ce qui accroche l’oeil ou l’oreille là-bas. Bien sûr, l’esprit républicain, le grand héritage de la Révolution française, explique en partie ce culte de la laïcité chez nos cousins. Mais le légendaire chauvinisme français y est pour quelque chose aussi.
Immigration
Il y a d’autres raisons pour lesquelles la France ne peut nous servir ici de modèle. Le principe fondateur du Nouveau Monde est celui de la colonisation, de gens venus d’ailleurs pour repartir à neuf. L’immigration est la clé de voûte de notre existence, comme de notre éventuelle survivance. Non seulement la France a-t-elle une tout autre histoire, la notion d’immigration lui est assez étrangère. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale, et le besoin de reconstruire le pays, que la France ouvre ses portes aux étrangers d’origine non européenne. D’ailleurs, jusqu’au début des années 70, l’immigration est perçue largement comme une question de main-d’oeuvre temporaire et les migrants sont placés dans des « foyers » pour travailleurs étrangers. Bien sûr, le Canada a aussi connu des moments de grande frilosité envers les immigrants (les Chinois durant la construction du chemin de fer, les Juifs et les Japonais durant la Deuxième Guerre), mais l’immigration, ici, n’est plus depuis longtemps un sujet de controverse. En France, grâce au Front national de Jean-Marie Le Pen, il l’est resté. Bref, malgré la culture qui nous unit, l’intégration de cultures étrangères n’est pas un facteur que nous partageons avec la mère patrie.
Surtout, la France ne craint pas pour sa survivance et ne compte certainement pas sur les immigrants pour y arriver. C’est peut-être la meilleure raison pour laquelle le modèle français est à prendre avec des pincettes. On peut considérer leur laïcité à la dure parfaitement légitime, plusieurs ici d’ailleurs le pensent, mais pour nous, dont l’avenir repose sur notre capacité de vendre cette grande et téméraire aventure culturelle appelée Québec au plus grand nombre, incluant à des gens venus d’ailleurs, ce n’est sûrement pas le modèle à suivre. L’aventure sera réussie le jour où l’on se reconnaîtra tous dans la même langue, mais avec la possibilité d’afficher des opinions contraires.
Des cinq volets proposés par le ministre Drainville, les trois premiers passent comme du beurre dans la poêle : 1. affirmer la neutralité de l’État comme valeur commune ; 2. établir l’égalité hommes-femmes de façon plus explicite dans la Charte québécoise des droits ; 3. imposer des directives à la fonction publique interdisant les demandes discriminatoires (exemple : exiger de traiter avec un homme plutôt qu’une femme).
Ce sont les deux derniers volets qui font problème : l’interdiction de porter des signes religieux dans les institutions publiques et parapubliques, pour ne rien dire du maintien des crucifix dans les conseils de ville et au Salon bleu. À ce chapitre, on s’explique mal l’entêtement du gouvernement Marois tellement le geste est contradictoire, pour ne pas dire un énorme pied de nez à tous ceux et celles qui devront, eux, se dévêtir de leurs symboles religieux.
Une telle obstination a une explication probable : le modèle français. C’est l’exemple de la France qui souffle au gouvernement ses propositions les plus audacieuses, dont l’interdiction de porter des signes religieux. Personnellement, je trouve curieux qu’on veuille imiter un modèle qui n’a inspiré personne d’autre, même pas un autre pays européen, et qui est loin d’avoir clos la question ou mis fin aux tensions raciales au pays de Jeanne d’Arc.
Et pourquoi s’inspirer de la France aujourd’hui, alors qu’en éducation, par exemple, on a raté une belle occasion de le faire, il y a un an ? Mis à part certaines mesures de promotion culturelle, le fait est qu’on s’inspire peu de la France. Et pour cause : historiquement, géographiquement, politiquement, même socialement, nous sommes très éloignés l’un de l’autre. C’est d’ailleurs quelque chose qui saute au visage la première fois qu’on met les pieds là-bas. On sent les codes, les hiérarchies, les bonnes et les mauvaises façons de faire, l’énorme fossé qui sépare le Nouveau Monde, plus spontané, mais toujours un peu dégingandé, de l’ancien, plus formel, mais toujours un peu guindé.
Encore plus que ses voisins européens, la France est un pays qui est en amour avec ses propres rituels, en amour aussi avec les apparences, quiconque s’est fait rappeler son accent québécois en sait quelque chose, on s’en prend rapidement à ce qui accroche l’oeil ou l’oreille là-bas. Bien sûr, l’esprit républicain, le grand héritage de la Révolution française, explique en partie ce culte de la laïcité chez nos cousins. Mais le légendaire chauvinisme français y est pour quelque chose aussi.
Immigration
Il y a d’autres raisons pour lesquelles la France ne peut nous servir ici de modèle. Le principe fondateur du Nouveau Monde est celui de la colonisation, de gens venus d’ailleurs pour repartir à neuf. L’immigration est la clé de voûte de notre existence, comme de notre éventuelle survivance. Non seulement la France a-t-elle une tout autre histoire, la notion d’immigration lui est assez étrangère. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale, et le besoin de reconstruire le pays, que la France ouvre ses portes aux étrangers d’origine non européenne. D’ailleurs, jusqu’au début des années 70, l’immigration est perçue largement comme une question de main-d’oeuvre temporaire et les migrants sont placés dans des « foyers » pour travailleurs étrangers. Bien sûr, le Canada a aussi connu des moments de grande frilosité envers les immigrants (les Chinois durant la construction du chemin de fer, les Juifs et les Japonais durant la Deuxième Guerre), mais l’immigration, ici, n’est plus depuis longtemps un sujet de controverse. En France, grâce au Front national de Jean-Marie Le Pen, il l’est resté. Bref, malgré la culture qui nous unit, l’intégration de cultures étrangères n’est pas un facteur que nous partageons avec la mère patrie.
Surtout, la France ne craint pas pour sa survivance et ne compte certainement pas sur les immigrants pour y arriver. C’est peut-être la meilleure raison pour laquelle le modèle français est à prendre avec des pincettes. On peut considérer leur laïcité à la dure parfaitement légitime, plusieurs ici d’ailleurs le pensent, mais pour nous, dont l’avenir repose sur notre capacité de vendre cette grande et téméraire aventure culturelle appelée Québec au plus grand nombre, incluant à des gens venus d’ailleurs, ce n’est sûrement pas le modèle à suivre. L’aventure sera réussie le jour où l’on se reconnaîtra tous dans la même langue, mais avec la possibilité d’afficher des opinions contraires.
mercredi 4 septembre 2013
Se faire du sang de cochon
Y a-t-il un lien entre le débat sur la
charte des valeurs québécoises et le geste haineux à la mosquée de Saguenay en
fin de semaine? Difficile à dire. Les crimes haineux, notamment en ce qui
concerne la religion, sont à la hausse au Québec. Donc, à prévoir.
Curieusement, alors que ce type de crime
est à la baisse ailleurs au Canada, il augmente ici. Hausse de 13% en 2012,
selon les statistiques du ministère de la Sécurité publique du Québec. Ailleurs
au Canada, également, le crime haineux vise majoritairement des gens de race ou
d'ethnie différente, alors qu'ici, depuis quelques années, le geste vise
davantage la religion, et les musulmans sont de plus en plus touchés. Les anomalies
entre le Québec et le reste du Canada ne s'arrêtent pas là. Le crime haineux est
surtout un phénomène urbain mais, au Québec, les deux grandes instances
d'islamophobie ont eu lieu à Hérouxville et maintenant à Saguenay, à mille
lieux des grandes villes.
Y a-t-il alors un lien entre parler
d'accommodements, de prières et de symboles religieux et créer des poudrières
en région? Impossible de le jurer mais disons que si la tendance se
maintient...
Evidemment, du maire Tremblay au ministre
Bédard, en passant par les musulmans du Saguenay, on dit exactement le
contraire: "incident
isolé", un "fou", un "stupide", rien à voir avec nous.
C'est toujours la même rengaine chaque fois que se produit un incident
choquant, violent, qui remet en question l'image que nous nous faisons de
nous-mêmes. Le problème c'est que même les fous et les stupides prennent leur
inspiration de quelque part.
S'il y a toujours eu raison de questionner
la décision du gouvernement Marois de baptiser la laïcité de "valeur
québécoise", il y a, depuis ce déplorable incident à Saguenay, un besoin
criant de recentrer le débat. Plus on gomme la laïcité d'un vernis identitaire,
plus on ouvre la porte aux dérapages de type "nous et eux". Plus on
invite les gens en région, qui ont moins d'accointances avec la diversité
culturelle, de partir en peur. Rappelons qu'en février dernier, la Fédération
des Québécois de souche de Chicoutimi (sic) ont distribué un tract dénonçant
l'immigration. De la petite bière comparé à la dégradation d'une mosquée mais
on note le penchant. De plus, la mosquée de Saguenay, qui a été éclaboussée de
sang de porc et sommée de "s'intégrer", ou plier bagages, parait assez
modérée.
"La mosquée a été créée afin d'éviter la
création de salles de prières dans les lieux d'enseignement", dit son
dirigeant Mustapha Élayoubi. Elle cherche à éviter les
situations d'accommodement raisonnable, en d'autres mots. Ce n'est donc pas les
exigences religieuses qui ont mis ici le feu aux poudres, mais le simple fait
de la différence. À la place de Pauline Marois, ou le maire Tremblay, je serais
un peu inquiète.
Comparez cette petite mosquée bien discrète,
maintenant, avec la communauté hassidique à Outremont. Ils sont ici des
milliers --un cinquième de la population, en fait-- qui tous les jours envahissent les rues, de Jeanne Mance à
Champagneur et de Fairmount à Van Horne, visiblement différents, visiblement non
"intégrés", menant leur vie en parallèle, sans demander rien à personne
sauf peut-être le respect. Deux mondes, deux planètes, qui ne partagent pas
grand chose sauf le désir de vivre leur vie comme ils l'entendent, côte à côte.
Et ça marche. Il y a bien sûr un petit accrochage de temps en temps, il y a
aussi quelque chose d'un peu surréaliste dans tout ça, on se croirait sur un
plateau de cinéma, mais il n'y a pas de sang sur les murs des synagogues ni
même de graffitis. On n'entend pas les gens se plaindre les uns des autres non
plus --du moins, ouvertement. Il y a dans ce quadrilatère d'Outremont ce qui
nous fait raffoler, disons, de New York, quelque chose de chaotique et fluide
en même temps, quelque chose de profondément énergisant car puisant dans les
quatre coins de l'humanité avec ce qu'elle comporte de troublant, de différent
et d'édifiant.
Personnellement, c'est dans ce Québec-là
que je veux vivre. Pas tellement, dans celui qui se fait du sang de cochon.
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