C'est une des grandes énigmes du
gouvernement en place et possiblement son plus grand mystère: comment un
gouvernement de droite, beaucoup plus à droite que tout ce que le Canada a
connu depuis longtemps, est-il devenu un ardent défenseur des droits des gais
et lesbiennes?
Depuis toujours, les question des
homosexuels est défendue par la gauche et pourfendue par la droite, comme vient
de nous le rappeler Gwendolyn Landolt, présidente émérite
du groupe les Vraies femmes du Canada (REAL Women of Canada). "Pour qui se prend-t-il?", demandait-elle
de John Baird, après que le ministre fédéral ait critiqué les lois anti-homosexuels
russes. Sa position est "une insulte aux pays qui ont la foi
et qui ont des structures familiales stables," dit-elle.
Nées en réaction au mouvement féministe au
début des années 80, les Vraies femmes prétendent parler pour la majorité
silencieuse en militant pour le maintien des femmes à la maison, la soumission
au mari, et contre toutes lois garantissant l'égalité des femmes sur le marché
du travail. Sans surprise, elles sont aussi contre l'avortement et le mariage
gai. Le groupe encourage les femmes à voir "comment choisir le bon mari
peut satisfaire leurs besoins".
On les croyait évidemment mortes et
enterrées mais voilà que ces dinosaures brandissent le poing sur la question des
gais. Ou, devrais-je dire, face à un gai en particulier, John Baird, qui a eu, selon Mme Landolt, le culot "d'imposer ses
propres intérêts". La porte-parole de REAL Women est la
seconde personne à pointer l'orientation sexuelle du ministre
du doigt. Il y a deux ans, Pamela Taylor, candidate conservatrice
dans une élection partielle en Ontario, a été la première à y faire référence
lors d'une entrevue radio. À la question, pourquoi ne trouve-t-on aucun
candidat conservateur ouvertement gai sur la scène fédéral ou provincial, Mme
Taylor répondit du tac au tac: "Ouvertement? John Baird".
Depuis, les rumeurs d'une "filière
gaie" au sein du gouvernement Harper font rage. Outre l'imposant ministre
des affaires étrangères, qui n'a jamais démenti la rumeur et qui d'ailleurs
fréquente le milieu gai à Ottawa, il y a la femme du PM lui-même, Laureen
Harper, qui fait évidemment beaucoup jaser (je vous laisse le soin d'éplucher
l'Internet là-dessus) et, de façon plus importante, cet autre gros canon conservateur,
Jason Kenney.
Bien que visiblement plus mal à l'aise
avec la question de l'homosexualité, M. Kenney, l'autre célibataire notoire du
cabinet conservateur (un fervent catholique, il se vantait, il y a quelques années,
d'être toujours "vierge"), s'est mis lui aussi à défendre les droits
des homosexuels. En plus d'un discours aux Nations Unis sur le sort des
réfugiés gais, l'ex ministre de l'immigration et la citoyenneté a envoyé en
septembre dernier une lettre à des milliers de citoyens gais et lesbiennes,
étayant sa défense des droits des minorités sexuelles. Beaucoup se sont
demandés, d'ailleurs, comment le ministre avait pu obtenir leur courriel.
MM. Baird et Kenney ont beau minimiser
leurs croisades en rappelant le parti pris canadien en faveur des "droits de la personne", il existe aucun autre sujet sur lequel on pourrait confondre la
position conservatrice avec celle des libéraux ou des néo-démocrates. Les
conservateurs n'ont certainement pas démontré la même sensibilité pour les
droits des femmes, des Autochtones, des minorités ethniques ou encore, pour cet
autre droit fondamental, l'environnement. Curieusement, les conservateurs, dont les
oreilles frisaient, il n'y a pas si longtemps, à la mention du mariage gai, n'ont
pas coupé les vivres aux festivals de films et aux parades gais, tout en
s'empressant de couper ailleurs. En juin 2012, le gouvernement Harper a même organisé
un événement spécifiquement gai, le Fabulous Blue Tent, attirant plus de 800
personnes à l'hotel Westin à Ottawa.
Depuis la décriminalisation de
l'homosexualité en 1969, l'opinion publique a beaucoup évolué, c'est vrai, ce
que même un gouvernement conservateur ne saurait ignorer. Mais la réponse à la
devinette --comment expliquer la ferveur gaie chez les conservateurs?-- est
ailleurs. La ferveur s'explique
surtout par la personnalisation de la question au sein du cabinet conservateur.
En d'autres mots, c'est parce qu'un homme comme John Baird sait ce que c'est que
vivre comme minorité sexuelle que le Canada lève la voix aujourd'hui pour
défendre les gais.
Dommage que le cabinet conservateur ne
compte aucune femme, ou Autochtone, ou Noir se sentant suffisamment interpellé
par sa "condition" pour en faire autant.
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