"Le droit ne nie pas l'horreur".
Il y a deux ans, une spécialiste en droit pénal avait ainsi résumé le fossé qui
séparait l'indignation générale du verdict de non-responsabilité criminelle
obtenu par Guy Turcotte. Comment un homme coupable d'avoir assassiné ses deux
enfants pouvait-il être si facilement pardonné? Le jury devait choisir entre quatre
options: le meurtre au premier degré, le meurtre au deuxième
degré, l'homicide involontaire et la non-responsabilité criminelle. Les cinq hommes et sept femmes du jury ont
choisi la seule qui déresponsabilisait et blanchissait l'accusé, la dernière. Sans
doute ont-ils tenté d'appliquer les paramètres du droit le mieux possible mais l'impression
de déni de justice --impression accentuée par la libération de l'accusé de
l'institut psychiatrique, à peine un an et demi plus tard -- était à couper au
couteau.
Coupable du meurtre de Trayvon Martin, un ado
de 17 ans qui venait de se procurer des bonbons au dépanneur du coin, George
Zimmerman est lui aussi aujourd'hui un homme libre, et le sentiment de déni de
justice, omniprésent encore une fois. D'autant plus qu'il s'agit d'un jeune
noir tué par un homme blanc --qui se faisait un plaisir, semble-t-il, de
signaler à la police la présence de "vauriens" dans sa banlieue en
Floride. Le jury, composé de six femmes (blanches), devait choisir entre le meurtre
au deuxième degré, l'homicide involontaire ou non
coupable. Après un procès de trois semaines, Zimmerman a été jugé non coupable et
relâché. On lui a même remis l'arme du crime. Le blanchiment dans ce cas est
total, même si, comme pour Guy Turcotte, on reconnait que Zimmerman a bel et
bien tué. Des milliers de manifestants n'ont pas tardé
d'envahir les rues pour signifier leur colère.
"Trayvon Martin est mort parce que lui
et d'autres garçons et hommes noirs comme lui ne sont pas perçus comme des êtres
humains, mais comme des problèmes '', disait le pasteur Raphael G. Warnock
devant sa congrégation à Atlanta, dimanche dernier.
Vigile autoproclamé de son quartier dont le
rêve était de devenir policier, George Zimmerman, 29 ans, patrouillait les rues,
le 26 février 2012, quand il aperçoit Trayvon Martin marchant sur le trottoir, capuche
sur la tête. Il décide de le suivre puis, suivant son habitude, appelle 911. Il
sacre à plusieurs reprises en décrivant la scène, témoignera plus tard un officier,
notant l'agressivité de l'accusé. "Dépêchez-vous, dit Zimmerman, ces
jeunes punks trouvent toujours moyen de se tirer d'affaire". Tout ce
temps, Trayvon Martin, qui n'a aucun casier judiciaire, ne fait que déambuler
sur la rue, en parlant à une amie au téléphone.
Le policier dit à Zimmerman de rentrer chez
lui, ils arrivent. Mais le sheriff autodidacte ignore la consigne et se met à
la poursuite du suspect à pied. "Pourquoi me suis-tu?" est tout ce
que l'amie au téléphone aura le temps d'entendre avant de perdre la ligne.
Quelques minutes plus tard, Trayvon Martin gît sur le trottoir, une balle à la
poitrine. Que s'est-il passé? L'altercation entre les deux hommes n'ayant été
vue par personne, la version de Zimmerman sera la seule à retenir l'attention
du jury.
Avec brio, les avocats de la défense ont
maintenu que le jeune Martin, "armé du trottoir", avait bousillé le
crâne de leur client, puis menacé de le tuer avec son propre pistolet. Malgré
le fait que Zimmerman ait été le véritable assaillant, que ses blessures soient
finalement assez superficielles et qu'aucun trace ADN de Martin n'ait été
repérée sur le pistolet, la défense a réussi à faire avaler la thèse de la
légitime défense.
Bien sûr, la loi du Stand Your Ground,
aussi connue comme Shoot First, a énormément contribué à l'acquittement. Cette disposition digne du Far West, et
désormais en vigueur dans 20 états américains, permet à quelqu'un qui aurait
peur pour sa vie de ne pas tourner les talons, même s'il a l'occasion de le
faire. Même si l'agresseur prend la fuite, la loi permet qu'on lui tire dessus,
exactement comme dans les films de cowboys. Pow pow, t'es mort.
"Il n'était pas malade. Il était en
maudit contre ma soeur et il a décidé de se venger", a dit l'ex-beau-frère
de Guy Turcotte, résumant bien le sentiment de la majorité dans cette affaire.
De la même façon, George Zimmerman n'était pas un homme en danger mais
l'instigateur d'une altercation qui n'aurait pas dû arriver. Plus grave encore
que le déni de justice, ce sont les ressorts sur lesquels ces deux cas reposent
--la violence conjugale dans le cas de Turcotte, le racisme dans le cas de
Zimmerman-- qui se retrouvent, par ces verdicts mêmes, renforcés.
Même si nous vivons dans un "état de
droit", comme le rappelait le président Obama, il arrive que le système de
justice se parodie lui-même à en pleurer.
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