J'ai accompli mon devoir de cinéphile
québécoise : je me suis assise dans le noir frigorifié du cinéma Beaubien, en
plein après-midi ensoleillé, pour voir
le film qui, dit-on, pourrait relever le menton du cinéma québécois, Louis Cyr - l'homme le plus fort du monde.
Pas nécessairement mon genre, Louis, disons-le tout de suite, je préfère les
hommes qui parlent plus et qui forcent moins, mais une appréciation de 9.2 (sur
10), battant même les cotes de cinéphiles pour le dernier blockbuster américain, ça impose le respect.
Oeuvre extrêmement compétente mais qui ne
casse rien, ce n'est pas tant le film qu'on applaudit, j'ai l'impression, que l'histoire
de ce Samson québécois dont la détermination n'a d'égale que sa force de boeuf.
Une histoire de héros invraisemblable dont le cinéma raffole. Vous changez de
siècle et de sport, et vous vous retrouvez, en fait, devant Maurice Richard, le
film. Même fond de grosse misère noire, même personnage d'homme quasi muet incarnant
la résistance brute, entêtée et peu loquace, de tout un peuple, même belle et dévouée
épouse, paraissant toujours plus sophistiquée que son mari, le signe que le
héros est non seulement un homme fort et vaillant mais aussi (c'est un film,
après tout) sexuellement puissant.
Une vraie belle histoire, c'est sûr, qui a
le mérite d'appartenir à tous ceux qui ont un nom "canadien français".
Pourquoi alors en suis-je sortie si peu remuée? La recette est-elle finalement trop
éculée? Ou serait-il temps de renouveler nos mythes fondateurs?
La message de Louis Cyr, à l'instar du film sur le célèbre hockeyeur, c'est résistez
et vous vaincrez. "La seule chose qui me sépare de la misère", dit
notre jeune Hercule, "c'est de lever cet haltère." Il y a un avenir
après les grandes noirceurs, en d'autres mots, il y a l'éducation, des cours de
piano, des beaux champs de patates, des trophées, un public admiratif. Et tout
ça en français. Sans méchants Anglos pour nous crier des noms. On est d'accord.
Seulement, ça fait au moins 50 ans qu'on est plus là, qu'on est dans une autre
genre de misère, existentielle, celle-là, encore pas très bien définie mais dont
parle abondamment nos jeunes cinéastes, devant des salles décidément beaucoup
moins remplies.
Entre les combats glorieux offerts par Louis Cyr et Maurice Richard, et l'angoisse de ne pas savoir où on s'en va, étalée
dans les films d'aujourd'hui, il y a un gouffre immense. Où est passé
l'avenir?, pourrait-on demander. On peut toujours accuser les films des jeunes cinéastes
d'être trop noirs mais alors les films historiques, eux, ne sont-ils pas un peu
trop clinquants, un peu trop arrangés avec le gars des vues?
Un exemple: dans le film, Louis Cyr meurt
dans sa maison de ferme, bercé par la douce mélodie de piano que concède de lui
jouer sa fille, enfin réconciliée avec lui. L'avenir s'annonce bon pour la
famille, l'éducation et les bonnes manières. Dans les faits, l'homme fort est
mort dans la maison de sa fille et son gendre, un homme qui plus tard enfermera
sa femme à St-Jean-de-Dieu pour la tricher de son héritage. Pas exactement des
lendemains qui chantent.
Le cinéma, évidemment, c'est l'évasion, ce
que réclament à grands cris les Vincent Guzzo
de ce monde. Il en faut au cinéma québécois
comme ailleurs. Mais je me demande si ce genre de tartine ne fait pas que
gommer l'inconscient collectif, donnant l'impression "d'une race d'hommes
forts", pour reprendre le terme du Curé Labelle, alors qu'on fond, on ne
se sent pas si fort que ça et même, à en juger par notre cinéma contemporain (Continental, un film sans fusil, Nuit #1, Le Vendeur, Le Camion...),
assez désespérés merci.
Je me demande aussi si ceux qui réclament
un nationalisme "inscrit dans la continuité historique", un
nationalisme identitaire où il faut "réapprendre le sentiment de la
précarité collective", pour citer Mathieu Bock-Côté, s'ils voient dans Louis Cyr une façon de raviver la flamme. Pour ma part, je crois
que ce type de folklore aura, auprès des jeunes notamment, l'effet contraire.
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