Pendant qu'au Moyen-Orient, l'Egypte
s'embrase à nouveau, faisant craindre une autre guerre civile là-bas, en
Amérique du nord, les feux de forêt flambent, les rivières débordent, les
wagons de train explosent. Comme si, cet été, chacun se voyait puni par où il
avait péché : les pays musulmans, minés par des décennies d'autoritarisme militaire
aussi bien que religieux, sombrent à nouveau dans le désordre alors qu'ici,
l'appétit boulimique pour le pétrole créé des calamités naturelles mais aussi surnaturelles.
À chacun, ses plaies d'Egypte.
La tragédie survenue au Lac Mégantic dépasse
l'entendement, c'est clair. Devant une telle dévastation, la tendance est à
palier au plus urgent, les personnes dans le besoin, et à pointer du doigt les premiers
coupables, la Montreal, Maine and Atlantic Railway, la compagnie américaine à
l'origine de cette apocalypse, et son patron, pas très sympathique d'ailleurs, porté
sur la privatisation et réduction de personnel, mais très peu sur l'expression
de sympathie. Dans le film qu'un jour on ne manquera pas de tourner sur ce
terrible incident, Ed Burkhardt sera la nouvelle incarnation du Ugly American[1],
c'est clair, parlant dru, le gros cigare à la bouche.
C'est vrai qu'il paraît insensé de laisser
l'équivalent d'une "bombe ambulante" sans supervision, même avec tous
les freins imaginables, à plus forte raison lorsque le sol penche. Insensée,
aussi, cette augmentation de 28,000% du transport ferroviaire de pétrole en seulement
quatre ans. Les municipalités touchées par ce trafic d'enfer ont-elles mêmes
été avisées? Il y a énormément de questions qui se posent aujourd'hui, et c'est
tant mieux, mais ces questions risquent aussi de jouer le jeu de ceux qui
appellent à l'implantation d'oléoducs de tous leurs voeux.
En fait, malgré son air affligé, c'est Stephen
Harper qui doit secrètement se réjouir. Il doit être heureux de la diversion, d'abord,
le Sénatgate ayant été assez dévastateur pour sa popularité. Mais les
événements du Lac Mégantic donne surtout énormément de poids aux arguments,
dont celui de M. Harper devant un auditoire américain en mai dernier, voulant
que le transport ferroviaire soit plus risqué pour l'environnement. Le PM tentait
ainsi de convaincre nos voisins du bien fondé de Keystone XL, le pipeline géant
devant acheminer le pétrole des sables bitumineux jusqu'au Golfe du Mexique,
projet très controversé, encore récemment.
Les images apocalyptiques qui ont fait le
tour de globe auront sûrement fini par convaincre plus d'un récalcitrant. Déjà,
les commentaires pleuvent en ce sens, pointant les oléoducs comme le choix
sensé, pour ne pas dire trois fois moins cher, même s'il n'y a pas de recherche
concluante sur la sécurité des deux méthodes de transport. Selon le directeur
du Pembina Institute, groupe environnemental basé à Calgary, "d'après les
données dont nous disposons, les deux s'équivalent, ils sont tous deux non
sécuritaires", dit Edward Whittingham.
Au cas où vous l'ignoriez, Enbridge, la
compagnie canadienne qui veut acheminer l'huile de l'Alberta jusqu'à l'Atlantique,
en passant par le Québec, a une très mauvaise feuille de route : 804
déversements dans l'espace de dix ans (1999-2010). Ce qui équivaut à près de sept
dégâts environnementaux par mois. Et avec une attitude de dur à cuire
comparable au patron du MMA, Ed Burkhardt. Après 37 ans d'exploitation de
l'oléoduc Montréal-Sarnia, "Enbridge
n'a jamais partagé ses plans d'urgence avec les autorités municipales",
note Josée Duplessis, présidente du comité exécutif de la ville de Montréal.
TransCanada, la compagnie derrière Keystone
ainsi que la transformation d'un gazéoduc en oléoduc au Québec, n'est pas sans
failles non plus: 51 déversements pour l'année 2011.
Mais ces déversements, même les plus
spectaculaires comme celui du Michigan en juillet 2010 --1 million de gallons
de pétrole corrosif échappés d'un pipeline d'Enbridge-- ne seront jamais aussi
horrifiants que le brasier d'enfer du Lac Mégantic. Même s'ils répandent
généralement beaucoup plus de matières dangereuses que les accidents
ferroviaires, ils n'impliquent pas de pittoresques centre-villes, ne tuent pas
sur-le-champ et minent, tant l'environnement que la vie des gens, lentement.
Il ne s'agit pas de l'idée du siècle pour
autant. Ce serait ajouter l'insulte à l'injure que de voir la tragédie de cette
semaine ultimement paver la voie à ceux qui veulent à tout prix hausser la
production et circulation de pétrole dans ce pays. C'est à une cure de désintox
que les malheureux événements du Lac Mégantic nous convient, bien plus qu'aux
charmes suspects des oléoducs canadiens.
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