L'appât du gain n'est donc pas le seul vice
qui ronge le coeur de la politique municipale. Avec le départ précipité du
dernier maire de Laval, Alexandre Duplessis, on constate que le mensonge, le
déni, l'hypocrisie, la pensée magique, appelez ça comme vous voulez, fait sa
part de ravages. Gérald Tremblay nous en avait d'ailleurs donné un aperçu.
"Il se peut que des gens d'affaires aient pu influencer
Frank Zampino, mais ce n'est pas arrivé", disait-il, pince sans rire, devant
la commission Charbonneau. Mais il fallait
attendre son successeur, Michael Applebaum, pour goûter à la mascarade en
grand.
"Est-ce
que Michael Applebaum, le maire de Montréal, est sous enquête?", demandait
M. le maire par intérim, à propos de lui-même, en janvier 2013. "La
réponse, j'aimerais vous le dire clairement, c'est non!", affirmait-il,
les yeux ronds comme des 25 sous, son boy-scout intérieur répondant "présent", l'index
impeccablement dressé. Et ceci, après avoir été interrogé pendant des heures par des enquêteurs
de l'UPAC. Cherchez le mensonge.
Alexandre Duplessis n'était pas piqué des
vers non plus, vendredi dernier, jouant le maire au "service des
citoyens", niant les "allégations" concernant des services de toute
autre nature, l'homme intègre qui ne cèderait aucunement au chantage. Cinq
heures plus tard, l'homme fort de Laval était roulé en boule dans son chalet
des Laurentides. L'histoire ne dit pas s'il portait des sous vêtements de
femme, au moment de sa disparition.
Mais à quoi pensent-ils? Un homme en pleine
tourmente municipale, un homme tutellisé, si on peut dire, qui décide de se
payer une prostituée et qui, en plus de commettre tout ça par écrit (plus de 50
textos), incluant son penchant vestimentaire pour la jarretelle, a la mauvaise
idée de ne pas la payer? Se sent-on à se point invincible, pour ne pas dire
pingre, en devenant maire? Michael "Applebomb", lui, qui n'a cessé de
se proclamer au-dessus de tout soupçon, fait face aujourd'hui à 14 accusations
pour complot, fraude, abus de confiance et actes de corruption. Quatorze.
Difficile de croire à l'erreur de parcours pour Monsieur
J'ai-jamais-pris-un-cenne-de-personne.
Il est tentant de voir ces gros mensonges comme
une conséquence inévitable de la corruption. Mais c'est bel et bien une maladie
en soi à laquelle, visiblement, les hommes politiques sont particulièrement
vulnérables. Pensons à Bill Clinton. "Je vais le redire à nouveau: je n'ai
jamais eu de relations sexuelles avec cette femme". Pensons à Dominique
Strauss-Kahn, ex-patron du Fonds monétaire international, accusé en 2011 de
viol et séquestration d'une femme de chambre à New York, qui, tout en
maintenant son innocence, a fini par verser plusieurs millions à la plaignante.
Pas exactement le geste d'un homme innocent. Pensons finalement à Rob Ford,
qui, jusqu'à preuve du contraire, n'a rien piqué à personne, ni payé (ou pas)
une prostituée, mais qui semble par ailleurs bien apprécier la cocaine. Malgré
une photo et un vidéo à cet effet, et plusieurs témoignages, le maire de
Toronto nie, lui aussi, absolument tout.
Après le festival de la corruption
municipale, voici le festival de la pensée magique.
"Une forme de
pensée qui s'attribue la puissance de provoquer l'accomplissement de désirs,
l'empêchement d'événements ou la résolution de problèmes sans intervention
matérielle", dit Wikipédia. C'est-à-dire sans que ce soit le moindrement possible.
"Un symptôme d'immaturité ou de déséquilibre psychologique", lorsque la
condition se poursuit au-delà de l'enfance.
Pourquoi le font-ils? Il y a bien sûr le besoin
impérieux de sauver sa peau, ce qui expliquerait les dénis mensongers de
certains politiciens. Mais c'est plutôt la faction des Applebaum et Duplessis,
qui, moi, me fascine. Des hommes avec
certainement des choses à cacher mais qui tentent le sort éhontément, qui se
dandinent sur la place publique comme des modèles de vertu et qui finissent,
non seulement à parler d'eux à la troisième personne, comme Charles de Gaulle, mais
à se croire des modèles de vertu.
Ce n'est pas que les hommes, remarquez. J'ai
fait un film sur l'ex-pdg de Cinar, Micheline Charest, coupable d'avoir volé
des millions en subventions, pour justement tenter de comprendre ce phénomène
de narcissisme à outrance. "Ils finissent tous par se croire plus fins que
les autres", m'avait expliqué le Columbo de l'art, le policier Alain
Lacoursière, à l'époque. Autrement dit, par nous prendre pour des valises.
Heureusement, les valises ont de plus en plus
leur voyage.
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