jeudi 4 juillet 2013

Le festival de la pensée magique



L'appât du gain n'est donc pas le seul vice qui ronge le coeur de la politique municipale. Avec le départ précipité du dernier maire de Laval, Alexandre Duplessis, on constate que le mensonge, le déni, l'hypocrisie, la pensée magique, appelez ça comme vous voulez, fait sa part de ravages. Gérald Tremblay nous en avait d'ailleurs donné un aperçu. "Il se peut que des gens d'affaires aient pu influencer Frank Zampino, mais ce n'est pas arrivé", disait-il, pince sans rire, devant la commission Charbonneau.  Mais il fallait attendre son successeur, Michael Applebaum, pour goûter à la mascarade en grand.

"Est-ce que Michael Applebaum, le maire de Montréal, est sous enquête?", demandait M. le maire par intérim, à propos de lui-même, en janvier 2013. "La réponse, j'aimerais vous le dire clairement, c'est non!", affirmait-il, les yeux ronds comme des 25 sous, son boy-scout intérieur répondant "présent", l'index impeccablement dressé. Et ceci, après avoir été interrogé pendant des heures par des enquêteurs de l'UPAC. Cherchez le mensonge.

Alexandre Duplessis n'était pas piqué des vers non plus, vendredi dernier, jouant le maire au "service des citoyens", niant les "allégations" concernant des services de toute autre nature, l'homme intègre qui ne cèderait aucunement au chantage. Cinq heures plus tard, l'homme fort de Laval était roulé en boule dans son chalet des Laurentides. L'histoire ne dit pas s'il portait des sous vêtements de femme, au moment de sa disparition.

Mais à quoi pensent-ils? Un homme en pleine tourmente municipale, un homme tutellisé, si on peut dire, qui décide de se payer une prostituée et qui, en plus de commettre tout ça par écrit (plus de 50 textos), incluant son penchant vestimentaire pour la jarretelle, a la mauvaise idée de ne pas la payer? Se sent-on à se point invincible, pour ne pas dire pingre, en devenant maire? Michael "Applebomb", lui, qui n'a cessé de se proclamer au-dessus de tout soupçon, fait face aujourd'hui à 14 accusations pour complot, fraude, abus de confiance et actes de corruption. Quatorze. Difficile de croire à l'erreur de parcours pour Monsieur J'ai-jamais-pris-un-cenne-de-personne.

Il est tentant de voir ces gros mensonges comme une conséquence inévitable de la corruption. Mais c'est bel et bien une maladie en soi à laquelle, visiblement, les hommes politiques sont particulièrement vulnérables. Pensons à Bill Clinton. "Je vais le redire à nouveau: je n'ai jamais eu de relations sexuelles avec cette femme". Pensons à Dominique Strauss-Kahn, ex-patron du Fonds monétaire international, accusé en 2011 de viol et séquestration d'une femme de chambre à New York, qui, tout en maintenant son innocence, a fini par verser plusieurs millions à la plaignante. Pas exactement le geste d'un homme innocent. Pensons finalement à Rob Ford, qui, jusqu'à preuve du contraire, n'a rien piqué à personne, ni payé (ou pas) une prostituée, mais qui semble par ailleurs bien apprécier la cocaine. Malgré une photo et un vidéo à cet effet, et plusieurs témoignages, le maire de Toronto nie, lui aussi, absolument tout.  

Après le festival de la corruption municipale, voici le festival de la pensée magique.
"Une forme de pensée qui s'attribue la puissance de provoquer l'accomplissement de désirs, l'empêchement d'événements ou la résolution de problèmes sans intervention matérielle", dit Wikipédia. C'est-à-dire sans que ce soit le moindrement possible. "Un symptôme d'immaturité ou de déséquilibre psychologique", lorsque la condition se poursuit au-delà de l'enfance. 

Pourquoi le font-ils? Il y a bien sûr le besoin impérieux de sauver sa peau, ce qui expliquerait les dénis mensongers de certains politiciens. Mais c'est plutôt la faction des Applebaum et Duplessis, qui, moi, me fascine.  Des hommes avec certainement des choses à cacher mais qui tentent le sort éhontément, qui se dandinent sur la place publique comme des modèles de vertu et qui finissent, non seulement à parler d'eux à la troisième personne, comme Charles de Gaulle, mais à se croire des modèles de vertu.

Ce n'est pas que les hommes, remarquez. J'ai fait un film sur l'ex-pdg de Cinar, Micheline Charest, coupable d'avoir volé des millions en subventions, pour justement tenter de comprendre ce phénomène de narcissisme à outrance. "Ils finissent tous par se croire plus fins que les autres", m'avait expliqué le Columbo de l'art, le policier Alain Lacoursière, à l'époque. Autrement dit, par nous prendre pour des valises.

Heureusement, les valises ont de plus en plus leur voyage.

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