Le Québec aime ses artistes, entend-on souvent.
On les promène, on les applaudit, on les encourage. Et on les étale ad nauseam le
dimanche soir à la télé. Le Québec aime ses artistes mais encore faut-il qu'ils
soient un brin vedette pour mériter cette attention. Sinon, nous dit un récent
rapport sur la philanthropie, et combien de statistiques déprimantes, on est
plutôt enclin à les laisser croupir dans la misère.
Le salaire moyen d'un artiste québécois
était de 24,600$ en 2009, cinq fois moins qu'un courtier de portefeuilles, deux
fois moins qu'un pompier et à peu près égal au salaire d'un chauffeur de taxi. Grâce
à la loi québécoise sur le statut de l'artiste, on gagne un peu plus ici
qu'ailleurs au Canada, mais à peine.
C'est précisément à cause de cette situation
dramatique qu'une controverse fait rage actuellement dans le milieu du cinéma. Le
diable est aux vaches suite à l'envoi d'une lettre ouverte au Ministre de la
culture, Maka Kotto, le 18 mai dernier. Faisant front commun, les cinq
associations qui régissent les métiers cinématographiques-- scénaristes (SARTEC),
réalisateurs (ARRQ), comédiens (UDA), musiciens (GMMQ), techniciens (AQTIS)-- demandent
qu'on cesse de financer les productions qui "privent les artistes du minimum."
On peut difficilement être contre de tels principes
mais n'applaudissez pas trop vite. Les associations en n'ont pas seulement
contre les gros producteurs qui, en sous-payant créateurs et artisans, s'en
mettraient plein les poches, ils ont aussi à l'oeil les "petites
productions indépendantes" qui contournent les ententes syndicales. C'est-à-dire
qu'ils veulent forcer petits et gros, indépendamment des moyens de chacun, à
faire affaire avec leurs associations.
Le syndicalisme est une belle et grande
chose sauf quand ça ressemble à de l'intimidation. La lettre des associations,
proposant de couper les vivres à ceux qui ne respectent pas la règle syndicale,
suinte la manière forte. Cette lettre a d'ailleurs eu l'effet d'une bombe dans
le milieu du documentaire, le parent pauvre du cinéma, aux prises avec des
restrictions budgétaires énormes depuis cinq ans. Je peux vous en parler de
vive voix, et même la larme à l'oeil, car j'ai "autoproduit" mes trois
derniers documentaires, manière que dénonce les associations. De peine et de
misère, faut-il préciser. La seule raison de produire un documentaire, en plus
de le réaliser et de le scénariser, travail gigantesque et dépareillé s'il en
est, c'est d'y être forcée, de ne pas pouvoir se passer de cet argent-là.
Malgré les apparences --des documentaires
qui prennent aujourd'hui l'affiche des grands cinémas, qui font parler d'eux,
des festivals de films très courus-- il est aujourd'hui très difficile de
gagner sa vie en documentaire. Les règles ont changé, les télés sont moins intéressées
et le financement a ratatiné. La seule façon d'y arriver, c'est de cumuler les
titres: production, réalisation, scénarisation. Si, en plus, vous faites de la
caméra, du son ou du montage, si vous pouvez conduire un camion ou faire des
photos de plateau, encore mieux. Les rangs du documentaire ont décuplé ces
dernières années parce qu'envahis par des jeunes gens capables de tout faire,
et ne craignant pas la famine au bout du mois.
C'est précisément à ce genre d'initiative "sous
le radar" que le front commun s'oppose. L'Alliance québécoise des
techniciens de l'image et du son (AQTIS), le meneur de claque dans cette
affaire, s'est montrée particulièrement agressive à dépister les petites
productions délinquantes, les sommant à conclure une entente avec eux. La loi
sur le statut de l'artiste leur donne cette prérogative.
"Ça manque de jugement", dit une
jeune productrice, Stéphanie Verrier, une des premières ciblée par l'AQTIS. Ironie: parmi ces supposés délinquants,
vous ne trouverez pas la moindre position antisyndicale. Que les associations défendent leurs
membres, on est pour. Qu'ils agissent comme si rien n'avait changé dans le
monde du travail depuis 25 ans, on est contre.
Nous vivons de plus en plus dans un monde
cassé en deux, avec les privilégiés d'un côté, bénéficiant de bonnes conditions
de travail, sûrs de leur droit à toujours exiger davantage, comme de la
retraite qui les attend, et tous les autres, sans retraite ni bénéfices, sans même
de salaire dans bien des cas. Qui s'intéresse à cette partie de l'équation? Les
associations demandent au ministre de revoir la loi sur le statut de l'artiste
pour augmenter les pouvoirs syndicaux alors que c'est précisément le contraire
qu'il faut.
Tous les artistes sont des
"travailleurs autonomes" par excellence. C'est les pouvoirs de
l'individu artiste qu'il faut revoir, si c'est vrai qu'on les aime et, surtout,
qu'on les respecte.
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