Jusqu'à maintenant, on pouvait rire du zèle
religieux du maire de Saguenay, Jean Tremblay, de ce besoin impérieux d'invoquer
le Père, le Fils et le Saint-Esprit sur la place publique. Mais la récente décision
de la Cour d'appel du Québec rend la chose moins drôle.
Oublions, pour l'instant, le caractère
biaisé du jugement, la Cour ayant rejeté le point de vue de l'expert du mouvement
laïc tout en retenant les perspectives pieuses de la partie adverse. Allons à
l'essentiel, c'est-à-dire à l'insidieuse équation, faite à répétition, entre la
religion catholique et le patrimoine culturel.
"La prétention
selon laquelle l'État devrait faire preuve d'abstentionnisme en matière
religieuse, écrit le juge Guy Gagnon, me
parait en contradiction avec son devoir de préservation de son histoire."
Les deux bras vous tombent. Non seulement
sommes-nous en présence de quelqu'un qui, visiblement, ne comprend pas grand
chose à la séparation de l'Église et de l'État, la notion de base de la
laïcité, mais la décision du juge Gagnon nous fait entrer officiellement --il
s'agit de jurisprudence, après tout-- dans ce que j'appellerais la
religiositude québécoise. De la religion qui en a pas l'air, plus cool que le maire Tremblay, disons, de
la religion de vitrine, mais de la religion quand même.
Le juge Gagnon nous dit essentiellement qu'il
faut s'incliner devant les crucifix pour mieux rester Québécois. Ainsi, il vient
non seulement d'élever la religion catholique au-dessus de toute autre, il
vient de nous l'enfoncer dans la gorge ad vitam. C'est le pape, perpétuellement
inquiet de la perpétuation de la foi, qui doit être content. Il y a certainement
une recette ici à appliquer à tous les peuples qui ont grandi à l'ombre des
clochers et des grandes statues en plâtre.
Le juge Gagnon, évidemment, n'a pas sorti
ça de son chapeau. De toutes les provinces canadiennes, le Québec est l'endroit
où l'on trouve le plus de gens ayant une appartenance religieuse : plus de 80%
des Québécois se disent catholiques, la très grande majorité des francophones
en d'autres mots. C'est énorme. Mais, en même temps, le Québec est l'endroit où
la pratique religieuse, de ces mêmes supposés catholiques, est la plus basse.
Règle général, on est pas du tout
des Jean Tremblay, mais on arrive difficilement à lâcher le morceau. Au Québec,
il y a une intériorisation du catholicisme, un espèce d'atavisme qui nous
attache aux articles de la foi même quand on ne croit plus. Un hommage au passé,
sans doute, une reconnaissance implicite du fait que la religion a longtemps été
un facteur de survivance, en conjonction avec la terre et la langue. Que
sais-je.
De là à créer un précédent juridique ou,
encore, de tricoter une charte des "valeurs québécoises" comme le
veut le Parti Québécois, il y a un pas à ne pas franchir. Au nom du combat
identitaire, tant la Cour d'appel que le PQ nous obligent à une contorsion
idéologique de mauvais aloi: prétendre que le crucifix de l'Assemblée Nationale
ou les prières au conseil municipal de Saguenay sont de "neutralité
bienveillante", pour reprendre le terme du juge Gagnon, à être respectés
par tout bon Québécois respectueux des traditions et de la culture, alors que
le turban du jeune sikh joueur de soccer ou le hijab de la caissière à la
Société d'assurance automobile sont de nature menaçante. Il faut que cesse
cette hypocrisie.
Sans
peut-être le vouloir, la décision de la Cour ainsi que les velléités politiques
du PQ sont en train de remettre la religion de nos ancêtres en odeur de
sainteté, alors que c'est précisément le contraire qu'il faudrait. Au moment où
nous assistons au festival de la corruption municipale, comment ne pas se
demander la part de responsabilité du catholicisme là-dedans? Le règne absolu
de l'Église a favorisé un système de faveurs et d'indulgences au Québec à mille
lieues d'un système démocratique, un système privé qui opérait loin des regards
indiscrets, sans jamais être obligé de rendre de comptes à personne. Une seule règle: aime-Moi et le ciel
t'aimera, te bénira, te comblera même de cadeaux (un jour). Ce que le maire de
Saguenay semble d'ailleurs avoir très bien intégré. "Quand je
vais arriver de l'autre bord, je vais pouvoir être un peu orgueilleux. Je vais
pouvoir lui dire je me suis battu pour Vous."
Plutôt que de déguiser la religion (catholique)
en culture, il est urgent de se doter d'une vraie charte de la laïcité, de se
donner, sans tomber dans le favoritisme, des règles claires qui nous
permettront, comme écrivaient Gérard Bouchard, Pascale Fournier et Daniel
Weinstock récemment, "de
rester qui nous sommes, de croire ou de ne pas croire, sans perdre nos droits à
l'égalité."
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