C'est l'histoire d'un Martien qui survole
la Terre en l'an 1981, précisément au moment où les tractations pour rapatrier
la Constitution canadienne font rage. Le Martien ne sait rien de ce que le juge
en chef à Ottawa est supposément en train de chuchoter dans l'oreille de du
procureur général britannique. C'est secret, après tout. Il ne sait pas non
plus que le Québec se relève péniblement d'un premier échec référendaire, ni
que le flamboyant Premier ministre canadien, Pierre Trudeau, a joué du coude à
cette occasion en promettant un changement constitutionnel. Mais il comprend l'essentiel.
Au-delà du crêpage de chignon, intelligible
aux seuls habitants de cette partie de la Terre, il comprend que ça fait 50 ans
(quand même...) que le Canada tente de rapatrier sa Constitution, et que tout
pays digne de ce nom se doit d'avoir en sa possession sa Bible, sa genèse, sa
raison d'être. Il sait aussi que la raison pourquoi le précieux document
croupit toujours dans les coffres de Westminster c'est qu'on n'arrive pas à
s'entendre sur la formule d'amendement. Cette formule de modification, c'est le
roi Salomon des grandes chicanes constitutionnelles, la porte de sortie en cas
de mésentente. Et dieu sait s'il y en a. Depuis le statut de Westminster en
1931, qui libérait le Canada enfin de la tutelle britannique, les premiers
ministres provinciaux, ensemble avec le chef fédéral, ont eu pas moins de dix grands
conciliabules à ce sujet. Superbes exercices à tourner en rond, à chaque fois.
Au risque de me faire lyncher sur la place
publique, je crois qu'il y a quelque chose qui se perd dans cette nouvelle
controverse entourant le rapatriement de 1982. D'abord, Trudeau avait raison.
Sur le fond, s'entend. Sur la forme, peu de leaders canadiens ont démontré
autant d'arrogance et de mépris à l'égard de leurs vis-à-vis provinciaux. Mais
je pense qu'on parle un peu trop de la sale besogne de l'ex PM contre le Québec,
et pas assez de sa compréhensible motivation de rapatrier la Constitution et, surtout,
de la doter d'une Charte des droits et libertés, un énorme cadeau à faire à
n'importe quel pays. Là-dessus, Trudeau s'inspirait de son mentor, le poète et
juriste montréalais Frank Scott, pour qui une Charte des droits représentait le
Saint-Graal de la vie démocratique.
En d'autres mots, il n'y a pas qu'une série
de vacheries ici, il y a de légitimes aspirations, tout aussi légitimes que la
reconnaissance du Québec comme société distincte. On semble souvent l'oublier. Au-delà
de la politicaillerie, des basses manoeuvres, du tempérament de cochon de
l'irrépressible PET, c'est de ces actes "fondateurs" dont l'Histoire
se souviendra. On en a d'ailleurs une indication du fait que les Canadiens
tiennent en très haute estime la Charte des droits, la législation la plus
populaire au Canada.
Bora Laskin là-dedans? Il semble assez
évident que le juge en chef a manqué à ses devoirs en 1981. Mais, encore une
fois, l'Histoire aura vite fait de passer l'éponge, peu importe le nombre de
chemises que le ministre des Affaires intergouvernementales, Alexandre
Cloutier, soit prêt à déchirer, ou le degré de trémolo dans sa voix. Dans les
tractations de la Cour Suprême autour du rapatriement de la Constitution, le
problème, à mon avis, n'est pas tant les indiscrétions de Laskin que la
décision de la Cour jugeant la proposition de rapatriement "légale,
mais inconstitutionnelle".
Décision qui ne tient visiblement pas la
route, comme le faisait remarquer René Lévesque à l'époque. Comment un geste
peut-il être inconstitutionnel sans être illégal? Il y a certainement un degré
d'illégalité de contrevenir au fondement légal d'un pays, quand même. Alors,
oui, il y a bel et bien eu "coup d'état constitutionnel", mais ce
n'est pas la faute à Trudeau. Les neuf juges ont décidé ça d'eux-mêmes, séduits
qu'ils étaient, comme le Martien de cette histoire, par le big picture. Entre doter un pays d'outils fondamentaux pour se
défendre et s'affirmer, et protéger le droit de chaque province de tirer la
couverture de son bord, la nature même de la fédération canadienne, vous
choisiriez quoi, vous? Bref, la Cour a essentiellement dit à Trudeau qu'elle
était d'accord avec le fond mais pas avec la forme. And the rest is history, comme disent nos compatriotes.
Tout ça pour dire que le Parti Québécois se
trompe s'il croit raviver la flamme souverainiste en revisitant les dédales
obscurs du rapatriement. Non seulement c'est du passé, c'est verser à nouveau
dans la chicanerie; c'est être à nouveau du mauvais côté de l'histoire. Comme
dit Fred Pellerin, "qu'est-ce qu'on aurait le goût d'aller vers quelque
chose qui grandit."
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