La dernière fois
que j'ai vu Pamela Wallin, elle traversait au pas de course la salle des
nouvelles du réseau CBC à Toronto, les larmes aux yeux. On venait de lui
montrer la porte après trois ans à la co-animation de l'émission The National. On avait misé gros sur la
célèbre animatrice, payé cher son transfert de CTV à CBC, mais la nouvelle
mixture avait déçu. Dure dure, parfois, la vie de vedette du petit écran.
L'honorable Pamela
Wallin doit trouver sa dégringolade au Sénat plus dure encore. Il y a certainement
une cruelle ironie à voir cette ancienne reporter bloquer d'une main tendue un
téléobjectif pendant que son ancien collègue de CTV, l'ex King de la colline
parlementaire, Mike Duffy, rase les murs du même Parlement. Comme revers du
destin, les Grecs ne sauraient faire mieux. Non seulement nos protagonistes
ont-ils été aveuglés par l'orgueil (hubris, quand tu nous tiens...), leurs
chutes imminentes menacent la pérennité de la Chambre haute, du moins dans son
état actuel, pour ne rien dire du gouvernement conservateur lui-même. Gros
catharsis en perspective.
Ce qui est sûr,
en tout cas, c'est que contrairement aux nombreux scandales qui ont ponctué le
règne Harper --de la complicité en
matière de torture à la fraude électorale, en passant par l'ingérence à
Radio-Canada et l'abolition du registre des armes à feu-- le Sénatgate est le
seul qui colle à ce jour, le seul à réellement indisposer l'électorat
conservateur.
Que Harper pille
sur des principes de transparence ou d'équité ou, encore, sur des institutions,
bof... ça dérangeait plus ou moins. Mais que des sénateurs, conservateurs de
plus, se servent à même les deniers publics, et bien ça, chers lecteurs, ça va chercher jusqu'aux fermiers en
Alberta et aux admirateurs de Rob Ford en banlieue de Toronto. Avant de prendre
le pouvoir, les Conservateurs avaient promis la fin du free lunch et des passe-droits. Bref, se servir trois fois plutôt
qu'une au buffet payé par les contribuables ne passe pas du tout. Je pense écrire à Pamela Wallin et Mike
Duffy pour les remercier personnellement.
J'ai travaillé avec
Mike Duffy environ deux ans; j'étais la Québécoise de service à son émission The Sunday
Edition. Mike s'est d'ailleurs
longtemps vanté de m'avoir rendue célèbre. Vous voyez le genre? Un brin
vantard, aimant la célébrité (même quand elle n'existe pas) et, surtout,
flagorneur. La marque de commerce de celui qu'on appelait affectueusement le
Pilsbury Boy était la main tendue à la fin de chacune de ses entrevues. Comme
s'il se pratiquait pour un jour faire de la politique, ou qu'il avait désespérément
besoin de se faire aimer, c'est selon, Mike insistait pour serrer la main de chacun
de ses interviewés. Tout le monde se retrouvait mal à l'aise sauf Old Duff lui-même,
également surnommé (pas très affectueusement) le Puffster. Personne mais personne n'a été surpris
de le voir atterrir au Sénat en 2008.
Il peut paraître
incongru que ce soit des anciens journalistes par qui le scandale arrive. Ils
devraient être un peu plus à l'affût, non? Le sens de l'éthique plus aiguisé? Mais,
en fait, il fallait très précisément des gens avec le sens du entitlement ("c'est mon dû").
Il fallait des gens qui ont l'habitude d'être écoutés, admirés, surtout
chèrement payés. Dans le monde de la télévision, on qualifie, du moins du côté
anglophone, les animateurs de "the
talent". Même si le talent n'y est pas toujours, il y a un espèce
d'aplatventrisme vis-à-vis ceux et celles qui "fidélisent" le public,
c'est-à-dire qui ont la cote auprès des spectateurs. On les paie grassement, voire
trop, souvent des salaires de premier ministre.
Le salaire de
base d'un sénateur est d'environ 135,000$, avant bonification en tout
genre.
Sûrement en
dessous de ce que Mike Duffy avait l'habitude de recevoir mais, surtout, de sa
valeur marchande auprès du gouvernement Harper. Selon le sénateur conservateur Don Plett, Mike Duffy est non
seulement "un des sénateurs
les plus travaillants", il est en partie responsable pour l'élection d'un
gouvernement majoritaire en 2011. "Il a été un immense atout",
dit-il. En s'inventant une résidence principale à P.E.I., en facturant deux
fois pour la même activité, Mike ne faisait que réclamer son dû, du moins, dans
sa tête à lui. On peut penser que les frais de déplacement extravagants de
Pamela Wallin (321,000$), présentement sous enquête, parviennent du même
calcul.
Arrive le riche chef
de cabinet Nigel Wright dans ce décor, encouragé par l'arrogance de son chef,
Stephen Harper, et le feu est aux poudres. Encore une fois, il fallait cette
combinaison toxique d'argent et de suffisance pour tout faire sauter.
Restez aux
aguets, comme disent les Anglais, la suite risque de ne pas décevoir.
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