Stephen Harper, qui n'a cessé de
contrevenir aux promesses faites avant son élection, a fait quelque chose
d'assez extraordinaire la semaine dernière, il a tenu parole. Le Premier
ministre, qui dit "ne pas vouloir rouvrir le débat sur l'avortement",
s'est assis de tout son poids sur son député Mark Warawa, l'empêchant de lire
une déclaration anti-avortement. En muselant son député d'arrière banc, Harper
contrevenait ici à une autre promesse, proche du crédo conservateur cette fois,
celle de permettre plus de liberté de paroles aux élus.
C'est donc dire que le PM a pilé sur ses
principes, et sur son monde, pour ne pas indisposer les féministes et
progressistes parmi nous? Pas toujours facile à suivre, ce Harper, c'est le
moins qu'on puisse dire. Après tout, s'est-il préoccupé à qui il déplairait avec
son obsession de la reine d'Angleterre et la guerre de 1812? Pas du tout. Ou
encore avec son intention de systématiquement soustraire le Canada des accords
internationaux sur l'environnement? Encore moins.
Qu'est-ce qui fait courir l'homme à la main
de fer et aux cheveux de plâtre? Au-delà du simple conservatisme, deux grandes
tendances frappent chez lui: son souci de "repositionner" le Canada et
son désir du pouvoir coûte que coûte.
Très ambitieux, Harper veut refaire l'image
du Canada, depuis longtemps libérale, en une image plus conservatrice. De là,
l'incessante et dispendieuse promotion d'une reine qui, même à Victoria, on
aime de moins en moins, et d'une guerre insignifiante mais, bon, il faut bien plaire
aux admirateurs de chair à canons.
La Reine, le militarisme, la GRC, l'Arctique
(peu exploité par le passé) et une nouvelle attitude de matamore sur la scène
internationale se veulent les nouveaux symboles d'un Canada revampé. Par
conséquent, deux événements qui, eux, ont une réelle importance pour le pays, la
création de l'assurance-maladie par Tommy Douglas (le père du NPD) en 1962, et
la Charte des droits et libertés en 1982, loi extrêmement populaire auprès des
Canadiens, sont passés complètement sous silence. Partisannerie oblige.
Au-delà du politicien conservateur soucieux
d'imposer son look au pays, il y a en
Stephen Harper un grand stratège dont Machiavel, ce grand prince de la
fourberie politique, serait fier. En d'autres mots, il n'y a pas que le crédo
conservateur (réduire les taxes, le déficit, l'interventionnisme d'Etat et
promouvoir la famille) qui compte pour lui. Tout aussi important : garder le
pouvoir, en piétinant ses principes s'il le faut.
Le phénomène de renier ses promesses en
politique est largement répandu, c'est sûr, mais rendons ici à César. Les retournements
de veste de la part de Harper sont particulièrement notoires. Dans
l'opposition, il prônait plus de reddition de comptes gouvernementale, le droit
du public à l'information, un Sénat élu, la non-ingérence dans les compétences
provinciales et des finances publiques assainies. Toutes ces promesses ont été
piétinées.
//Au chapitre de l'économie, les
Conservateurs ont fait grosso modo comme les Libéraux: creusé le déficit,
augmenté la taille du gouvernement et créé de nouveaux programmes. De plus, les
données scientifiques ont été coupées, l'accès à l'information réprimé et la
réforme du Sénat abandonnée. La décentralisation? La réforme de l'assurance emploi
en fait une risée. On voit aussi ce qui est advenu de ce brave Kevin Page. Ayant
trop souvent plongé le gouvernement Harper dans l'embarras, le poste qui devait
nous éclairer sur les allocations gouvernementales est à toute fin pratique
aboli.
Mais venons-en à l'avortement. Il s'agit
ici d'une contorsion qui risque de coûter plus cher à Harper que toutes les
volte-face énumérées plus haut. Des députés conservateurs se disent déjà exaspérés
de la censure exercée par leur chef et une partie de l'électorat conservateur
doit voir d'un très mauvais oeil ce flirt
avec les pro-choix.
A venir jusqu'à maintenant, Harper
réservait ses entreprises de séduction à ceux qui l'ont élu, l'électorat
conservateur, une façon de compenser le fait qu'il mène sa barque un peu plus
au centre que ne le voudrait un politicien de sa trempe. C'est de cette façon,
assez habile, disons-le, qu'il a réussi à maintenir le pouvoir.
Des bonbons pour pacifier la base (le
Bureau de la liberté de religion est un récent exemple), Harper en a
l'habitude. Mais une main tendue au camp adverse? C'est du jamais vu. Pour la
première fois, on voit une perle de sueur au front de l'imperturbable PM. Les sondages
y sont sans doute pour quelque chose. Mais, visiblement, les troupes derrière
le mouvement pour l'avortement intimident le chef conservateur de façon que,
disons, les environnementalistes ne font pas.
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