Au lendemain du
43e Jour de la Terre, passé, il faut dire, assez inaperçu, les paris sont
ouverts sur le sort du gigantesque pipeline Keystone XL. Passera? Passera pas?...
Robert F.
Kennedy, environnementaliste bien connu et fils du célèbre politicien du même
nom, croit "au sens moral" du Président Obama et, par conséquent, au
rejet de l'oléoduc devant transporter 830,000 barils de pétrole par jour de
l'Alberta au Texas. Mais David Gordon, lui, ex-haut fonctionnaire du
Département d'État, dit au contraire que M. Obama est tout bonnement en train
de retourner sa veste.
À en juger du dernier
sondage, le pari le plus sûr n'est certainement pas du côté éthique. Pas moins
de 74% des Américains sont favorables à Keystone, une forte majorité préférant faire
son lit du côté d'un approvisionnement pétrolier garanti, plutôt que de la
réduction des gaz à effet de serre. Le fait que nos voisins ont récemment connu
deux déversements de pétrole importants, dans le Golfe du Mexique et au
Michigan, ne pèse visiblement pas lourd dans la balance. Le fait que les sables
bitumineux albertains produisent du pétrole particulièrement toxique non plus. Entre
maintenir le style de vie nord américain et s'attaquer aux problèmes
environnementaux, le choix est clair. On veut son SUV.
Ça fait pourtant
plus de 40 ans que nous avons développé une conscience écologique. L'idée qu'il
y a des conséquences néfastes à l'activité humaine est née en bonne et due
forme à la fin des années 60 et, avec elle, le besoin de remédier aux dégats.
Seulement, quatre décennies plus tard, le bilan environnemental, loin de
s'améliorer, est franchement alarmant: 50% des forêts et des zones humides ont
disparus, 75% des pêcheries sont en déclin, l'Arctique pourrait disparaître complètement
durant les mois d'été d'ici 2050, ainsi
que les deux tiers des espèces de la planète d'ici la fin du siècle. "L'impact
des humains sur la planète équivaut aujourd'hui aux forces cosmiques qui ont
causé l'ère glaciaire et ses extinctions massives", écrit Marq de Villiers
dans Our Way Out.
Devant une telle
urgence, comment expliquer un tel laisser-faire?
Le combat
écologique serait probablement plus avancé aujourd'hui n'eût été d'un bras de
fer historique entre deux hommes aux visions parfaitement opposées: Paul
Ehrlich, un des premiers écolos à avertir des limites des ressources naturelles,
et Julian Simon, économiste de l'école de Chicago, défenseur d'une croissance illimitée.
En 1980, Simon décide de confronter les vues alarmistes d'Ehrlich en lui proposant
une gageure sur le prix de cinq ressources naturelles. Vu la demande continuellement
à la hausse, Ehrlich est d'avis que les prix ne peuvent qu'augmenter alors que
Simon pense le contraire.
Un an plus tard,
Simon remporte le pari. Précisément au moment où il aurait été important
d'aiguiser les consciences au fait que l'ère moderne comportait des
conséquences environnementales réelles, c'est au contraire la thèse de
l'optimisme économique triomphant qui prend le haut du pavé, retardant une
véritable prise de conscience de 20 ans.
Ce n'est qu'avec
la crise financière de 2008, en fait, que les Julian Simon de ce monde en
prennent pour le rhume. Conjointement à l'accumulation de catastrophes
environnementales du début du siècle, la dernière crise financière est un atout
pour la cause écologiste car elle expose les limites d'un système économique
basé à la fois sur l'exploitation des ressources naturelles et sur l'accès
(éhonté) au crédit.
Né avec la
révolution industrielle --qui est, en fait, "la révolution des énergies
fossiles," écrit Richard Heineberg dans The End of Growth-- c'est justement ce système, à deux poumons, qui
est à la base de l'ère moderne. "Pendant les 150 dernières années, l'accès
toujours croissant aux énergies fossiles a permis une croissance économique
rapide, en moyenne 3% par année, dit Heineberg. Les économistes se sont mis à
prendre cette situation pour acquis et les systèmes financiers, à baser le
rendement de capitaux engagés sur les attentes d'une telle croissance".
Pendant 150 ans,
nous avons donc fonctionné sur la notion que la croissance était normale et
même, grâce aux progrès technologiques, sans fin. Les ressources naturelles
sont limitées? Pas grave, la technologie trouverait bien une solution. À voir
les résultats du dernier sondage, ce type de pensée magique semble toujours
bien présent, et les politiciens de la trempe du ministre fédéral des
ressources naturelles, Joe Oliver, toujours disposés à en ajouter une couche,
au besoin.
Pour difficile
que ça puisse paraître, concevoir un monde sans pétrole est néanmoins vers
quoi, veux veux pas, on se dirige.