Pape à ses heures, Pierre-Karl Péladeau a
créé toute une surprise, lui aussi, en annonçant sa démission jeudi dernier. Qui
aurait cru que l'homme qui voulait faire de Quebecor "une des grandes
puissances mondiales de l'économie", ambitieux à souhait et workaholic avoué, céderait, à 51 ans, le
trône de l'empire?
Contrairement à Benoit XVI, il n'est pas
question ici de santé défaillante ni de sombres complots à l'interne. Vrai, les
profits mirobolants de Quebecor ont périclité ces derniers temps (9.2 millions
au dernier trimestre plutôt que 85.4 à la même date l'année dernière) mais
personne soupçonne le dauphin de penser qu'un autre pourrait faire mieux. Non,
PKP veut tout simplement passer plus de temps en famille, dit-il, et voir aux
projets qui lui tiennent à coeur. L'homme qu'on a souvent qualifié de
"dur", allergique à toute sentimentalité, avait apparemment larme à
l'oeil en témoignant du soutien de sa célèbre compagne et son désir d'être
présent pour ses enfants. Décidément, il y a des photos qui se perdent.
Il est donc possible d'être à l'origine du
plus long conflit de travail dans l'histoire du Canada, de congédier les deux
tiers de sa salle de rédaction, d'écraser la concurrence impunément, tenant, au
besoin, les institutions publiques en otage (Quebecor a suspendu ses redevances
au Fonds canadien de télévision en 2007 afin de dénoncer Radio-Canada), tout en
étant un mari et père exemplaires. Et pourquoi pas? Le comportement contraire
existe bien, lui : de "grands hommes" qui maltraitent femme et enfants
sont légion. Bref, il est possible d'être un bon et tendre gars en privée
et....(je cherche un mot qui ne déclenchera pas une poursuite de plusieurs
millions)... un pas fin sur la place publique.
Prenez le nouveau pontife, un homme dont la
simplicité ne cesse d'étonner, un prince de l'Eglise qui préfère l'autobus aux
limousines. On ne peut vraisemblablement
pas douter de sa dévotion aux pauvres, pas plus que de l'importance de la vie familiale
pour Pierre-Karl Péladeau, mais, ici aussi, quel contraste entre ce sympa
Francisco et le prêtre qui a été de connivence avec une des pires dictatures d'Amérique
latine.
On s'émeut actuellement des pots de vin à
la ville de Montréal mais imaginez un instant des personnes qui disparaissent
par milliers, des personnes larguées vivantes du haut d'un hélicoptère, des
bébés volés à leurs mères et donnés à des militaires en adoption. Il était
impossible d'être Argentin entre 1976 et 1983 et ignorer le régime de terreur
qui sévissait là-bas. Les irrépressibles mères de la Place de mai ont été parmi
les premières à réagir, elles protestent d'ailleurs encore aujourd'hui, mais
plusieurs se sont tus en Argentine, dont les dirigeants de l'Eglise catholique.
Contrairement au Chili et au Brésil où le
clergé a dénoncé les régimes militaires, et où beaucoup moins de gens sont
morts, la plupart des ecclésiastiques argentins, dont Jorge Maria Bergoglio, ont
choisi "d'entretenir le dialogue avec les militaires", de dire un ami
du pape lui-même, le jésuite Ignacio Peréz del Viso.
En Argentine, la collaboration entre clergé
et militaires remonte au coup d'état de 1930 où les dirigeants d'Eglise décident
de jouer les "guides spirituels" auprès des forces armées. Au retour
du régime militaire dans les années 70, "leurs opérations se chevauchaient
à tel point que certains évêques avaient des soldats comme serviteurs," écrit
le New York Times.
Durant la "guerre sale", qui
ciblait tout ce qui était perçu comme de gauche, le soi-disant homme du peuple,
Jorge Maria Bergoglio, a terriblement manqué d'amour envers celui-ci, c'est le
moins qu'on puisse dire. Arrêtés, torturés et puis abandonnés dans un champ, parmi
les rares qui ont survécu à la séquestration, deux prêtres l'ont d'ailleurs
accusé de les avoir donnés en pâture aux militaires après que Bergoglio les eut
congédiés pour leur engagement "gauchiste" dans un bidonville.
Le silence de Bergoglio durant les années
de terreur est d'autant plus suspect qu'il jure avec ses attaques véhémentes,
20 ans plus tard, contre le gouvernement de centre-gauche de Nestor Kirchner et
Cristina Fernandez, notamment leur appui à l'avortement, la contraception et le
mariage gai. Quand il le veut, le monsignor en chef n'a pas exactement la
langue dans sa poche, on l'a vu au balcon le premier soir.
Alors, "grand renouveau", ce François
1er? Retour à "l'amour de son prochain"? Ou hypocrisie morale, la
même qui a plombé les questions sexuelles et qui hante aujourd'hui les droits
de l'homme? Plus que jamais, l'Eglise demeure une institution à deux faces, comportement
qu'on peut à la rigueur tolérer chez un individu mais difficilement au sein d'une
institution qui a le culot, en plus, de prétendre à la vérité.
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