Il a un peu la bouille du jeune Dustin
Hoffman dans Le Lauréat, vous ne trouvez pas? Une face d'enfant choeur qui suinte
le who me?... Je parle bien sûr du maire intérimaire de Montréal, celui qui
doit en ce moment se ronger les ongles en attendant l'interrogatoire de son mentor,
l'ex-maire Gérald Tremblay, pour ne rien dire de Bernard 3% Trépannier, les
grosses légumes annoncées à la
Commission Charbonneau cette semaine. Depuis le temps qu'on les attend.
J'ai personnellement applaudi
l'arrivée de Michael Applebaum à la mairie. Pour l'exploit politique, d'abord. Passer
de deuxième au sein de son parti à l'heureux élu une semaine plus tard, applaudi
par tous pour sa "coalition non partisane", tenait du haut voltige.
M. Opérationnel, dites-vous? Mettez-en. Et puis, en plus d'apprécier l'arrivée du
premier maire juif et un des rares anglophones à ce poste, j'aime bien ce que M. Applebaum fait de
la langue française. Pas très kosher,
c'est vrai, mais il nous rappelle, quasiment à toutes les phrases, combien il
est difficile de s'exprimer correctement en français. Combien c'est un acte de
foi pour un anglophone se s'aventurer sur un terrain aussi miné et combien c'est
un acte d'amour, pour nous tous, de l'endurer. Un peu comme le fringant Benjamin
(Dustin Hoffman) se jettant dans les bras de l'élégante Mrs. Robinson (Anne
Bancroft), le spectacle est un peu gauche, le coït à moitié réussi, mais, bon,
ça nous soude quand bien même l'un à l'autre.
Tout ça pour dire que je porte un regard
attendri sur Michael Applebaum, regard qui a tendance à se noircir par les
temps qui courent. Malgré ses démentis, il semblerait que le maire fait effectivement
l'objet d'une enquête de l'UPAC concernant des contrats attribués dans
Côte-des-neiges-Notre-Dame-de-Grâce. Ce qui ne le condamne pas nécessairement mais
pose du moins quelques questions. A-t-il permis des changements de zonage pour
avantager un homme d'affaires en lien avec la mafia? Était-il au courant du
rapport d'enquête, mystérieusement égaré depuis 2004, sur le gonflement des
prix à la ville de Montréal? Et qu'est-ce qu'il faisait au cocktail de
financement tenu dans un haut lieu de la mafia (La Cantina) en 2003?
On ignore toujours les réponses à ces
questions. M. Applebaum, qui ne s'est pas aidé en déclarant ne pas aimer les
mets italiens (est-ce humainement possible?), dit que tout est en règle, alors
que les médias font non-non-non de la tête. Impossible que l'ex courtier
immobilier ait baigné si longtemps dans la soupe sans sentir la minestrone, dit
le choeur grec. Pour moi, ce sont moins ces allégations qui me font froncer les
sourcils, le bénéfice du doute est une notion salutaire en démocratie, que le
récent sondage du maire Applebaum.
Arborant son dossard jaune orange et son
plus beau sourire boy scout, le maire était en mode séduction, vendredi
dernier. L'idée de sonder les citoyens n'est pas mauvaise en soi; c'est le
choix faustien qui moi m'indispose. Faut-il vraiment choisir entre les nids-de-poules
et les entrepreneurs suspects? Faut-il vraiment, comme le veut le maire, jeter
son dévolu sur les contracteurs d'asphalte?
"Are
you trying to seduce me, Mrs. Robinson?". On se souvient de la célèbre
phrase où le jeune puceau joué par Hoffman passe de l'autre côté du miroir, devenant
un simple pion dans le monde de gens riches en mal de divertissement. Il me
semble que succomber à la proposition du maire nous fait basculer dans le monde
infiniment gris du moralement discutable. A quoi ça sert de passer des mois sur
la Commission Charbonneau si on n'apprend pas quand tracer sa ligne dans le
sable? On sait maintenant que la corruption est aussi répandue que le sirop
d'érable au printemps précisément à cause de ce genre de rationalisation: c'est
bon pour le développement, les affaires, la ville, le parti... La
rationalisation aujourd'hui: c'est bon pour la sécurité des Montréalais.
Dans une entrevue que j'ai réalisé avec
Gabriel Nadeau-Dubois, il explique qu'au début de la grève, le problème au sein
des associations étudiantes n'était pas d'abord une opposition entre carrés
verts et rouges. "C'était qu'est-ce qu'on fait ici à débattre? La notion
même d'un enjeu collectif, d'une décision à prendre ensemble, dépassait
l'entendement d'un bon nombre", dit-il.
Le culte du me, myself and I, on veut juste
se trouver une jobbe... explique aussi, il me semble, le manque flagrant de
probité à la ville de Montréal. On n'a pas seulement perdu nos héros, comme le
chantent Simon and Garfunkel dans le film (Where
have you gone, Joe DiMaggio / A nation turns its lonely eyes to you...), on
a perdu le sens même de la démocratie.
Mon conseil à M. Applebaum (qui aurait
aussi été utile au jeune Benjamin): plutôt que "when in doubt,
mumble" adoptez donc la devise "when in doubt, abstain".
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