À la veille du sommet tant attendu sur l'éducation, vous sentez-vous
tout à coup comme un figurant dans un mauvais film? On vous avait promis
un bon rôle dans Guerre et Paix et vous voilà jouant le villageois hébété dans Aurore, l'enfant martyr.
Dit
autrement: éprouvez-vous (comme moi) la sensation bizarre que toute
l'énergie, l'engagement, le poésie, pour ne rien dire des réflexions
suscitées par le printemps étudiant, sont en train de se ratatiner comme
peau de chagrin?
Quel contraste, quand même, entre l'effervescence d'il y a un an et l'imbroglio actuel. Comment est-on passé de «la plus grande mobilisation dans l'histoire du Québec» à une guerre de chiffres inintéressante?
Avec son franc parler habituel, l'ex premier ministre Jacques Parizeau a pointé le coupable du doigt. «Le déficit zéro bousille tout»,
a-t-il dit. On peut effectivement se demander comment un parti
politique qui se disait très sympathique aux revendications étudiantes,
il y a à peine six mois, a pu reprendre sa position de toujours (du
moins celle prônée par son chef, Pauline Marois), l'indexation, sitôt
arrivé au pouvoir, et avant même d'avoir entamé les discussions
promises.
Pauline
Marois n'est pourtant pas Lucien Bouchard (les deux, dit-on, ont très
peu d'atomes crochus). D'où vient cette ferveur renouvelée pour le
déficit zéro? Difficile de croire qu'il s'agisse, comme en 1996, d'une
volonté d'assainir les finances publiques avant une campagne
référendaire. L'incertitude économique n'est plus la principale raison
de la désaffection souverainiste. Quand la proportion de jeunes
indépendantistes équivaut aux 18-34 ans qui croient encore en Dieu, on
se doute que le problème est ailleurs. Le projet manque tout simplement
de souffle, d'éloquence et de raisons de se battre. Bref, tout ce que
les militants étudiants ont su raviver le printemps dernier est absent,
pour l'instant, de la cause. Raison de plus de ne pas s'aliéner cette
infanterie du tonnerre.
À
mon avis, derrière la marotte de la balance comptable, il y a une autre
obsession, plus insidieuse encore: le centrisme pur et dur. Une maladie
bien nord-américaine, disons-le, dont on peut constater les effets
pervers en ce moment même dans les courses libérales au
leadership, fédérale et provinciale. La maladie consiste à se dire ni
de droite ni de gauche et d'être là où, dit-on, logent les gens de bonne
volonté et de gros bon sens, en plein milieu. Les symptômes consistent à
dire le moins possible tout en prétendant représenter le plus grand
nombre. On parle beaucoup «d'en faire plus pour la classe moyenne».
(Ça tombe bien, en Amérique du nord, tout le monde, ou presque, se veut
de la classe moyenne). Bref, beaucoup de bonnes intentions mais sans
engagements particuliers ou, le cas échéant, en s'assurant de saupoudrer
à droite et à gauche, au propre comme au figuré.
Plaidant
la défense de l'environnement, Justin Trudeau, par exemple, refuse le
projet d'oléoduc Northern Gateway mais se dit en faveur de la vente de
la pétrolière canadienne Nexen à la Chine, un pays qui cherche à
quintupler son approvisionnement en pétrole d'ici quelques années, geste
nécessairement néfaste à l'environnement. Go figure, comme disent les Chinois.
Cette
marotte du soi-disant juste milieu, motivée en grande partie par la
peur de s'aliéner le monde des affaires, semble aussi prendre du galon
au Parti québécois. Après avoir reculé sur les étudiants, Madame Marois
semble passablement disposée à reculer sur l'environnement. Le pire
là-dedans n'est évidemment pas de vouloir garnir les coffres de l'Etat.
Qui peut être contre? C'est cette façon de dépeindre comme ennemi du
bien quiconque n'est pas d'accord avec le manger mou. Comme le souligne
M. Parizeau, c'est malhonnête de voir les étudiants en faveur de la
gratuité comme «hors normes» alors que l'idée faisait consensus il y a 40 ans et qu'elle est acceptée dans la plupart des pays d'Europe aujourd'hui.
La
tentation de dépeindre les militants de l'ASSÉ en empêcheurs de tourner
en rond est d'autant plus grande que 68% des Québécois, selon le
dernier sondage, est d'accord avec l'indexation. Il y a un an, une
majorité de Québécois, souvenons-nous, était d'accord avec la hausse
préconisée par l'ancien gouvernement. Le culte du
soyons-raisonable-et-de grâce-pas-de-vagues est aussi profondément ancré
au coeur du Québec. La critique la plus souvent formulée lors du
conflit étudiant? «Vous nous avez dérangés»,
de dire l'ex porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois. Comme si le confort et
l'indifférence, si bien décrits pas Denys Arcand il y a 30 ans,
sévissaient toujours.
«Nous sommes arrivés à ce qui commence»: le percutant slogan mironien du printemps dernier se serait-il transformé en «Nous voilà arrivés à ce qui n'aboutira pas»?
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