Rassurez-vous. Je ne m'apprête pas à
balancer mes gros sabots à la tête de Cupidon. Je crois en l'amour, c'est la
seule religion (un peu attrayante) qui nous reste. La seule qui respecte hommes
et femmes, gais et hétéros, jeunes fringants et vieux décrépits, la seule qui
s'incline devant l'excès. Tomber amoureux est un état de grâce qui rend non
seulement plus beau, il rend meilleur, si ce n'est le courage que ça prend de
dire je t'aime.
"Aimer c'est le fait d'éprouver un
autre être comme irremplaçable et le lui déclarer", dit le philosophe
Alain Finkielkraut. C'est aussi le seul moment de cette vie terrestre où l'on
quitte son corps pour celui d'un autre. On se retrouve dans quelqu'un, pas seulement à coté. Religieux, vous dis-je.
La Saint-Valentin sert évidemment à compter
ces miracles, tout en explorant l'amour contemporain. Immanquablement, à ce
moment-ci de l'année, on se retrouve devant deux grandes colonnes: ceux et celles
qui ont su durer ("laisse-moi devenir l'ombre de ton ombre") contre ceux
et celles qui ont failli à la tâche ("I will survive"). Sous-entendu: les moeurs d'aujourd'hui,
l'instantané et le jetable, sont moins propices à aimer longtemps.
Personnellement, je ne suis pas convaincue
que la révolution numérique, pas plus que la révolution sexuelle, comptent pour
beaucoup dans le soi-disant désordre amoureux. On a jamais eu autant de raisons
de s'aimer qu'aujourd'hui, quand on y pense. C'est la première fois dans
l'histoire, qu'hommes et femmes, nous nous contemplons en trois dimensions, intellectuellement,
émotionnellement, physiquement, bref, sous toutes nos coutures et en (quasi)
parfaite égalité. Nous voilà enfin tout nus, et c'est tant mieux. La
possibilité de faire cause commune est là comme jamais auparavant. La
réciprocité, le partage, la communication... tous les grands thèmes de l'amour
avec un grand A, sont multipliés aujourd'hui comme jamais.
On vient d'ailleurs de publier une analyse réfutant l'idée que "les hommes viennent de Mars et les femmes de
Vénus". Nous ne serions pas si différents l'un de l'autre, dit l'étude
menée par l'université de Washington. Parions que cet arrimage ira s'accentuant avec le temps. Bientôt, il va falloir regarder dans ses culottes pour
savoir qui est supposément plus viril, qui supposément plus empathique.
Dans son dernier film, le cinéaste Michael
Haneke s'incline à cet autel. C'est-à-dire qu'il met en scène un couple qui est
une copie conforme l'un de l'autre. Ils ont le même âge, les mêmes goûts, le
même amour de la musique et ont vraisemblablement exercé le même métier. Ils ont jusqu'à la même taille et se sont mis à se ressembler physiquement, comme,
dit-on, le font les vieux couples. En nomination pour plusieurs Oscars,
récipiendaire de la Palme d'or à Cannes l'an dernier, Amour n'est sans doute pas le plus beau film sur l'engagement amoureux que vous
aurez l'occasion de voir mais, à mon avis, il en existe peu de plus profond. Un
film à la fois terrifiant et grandiose, banal et spectaculaire, à la mesure exacte
de son sujet.
Personne ne dit "je t'aime" dans
le film mais il clair que l'amour est là, usé par le temps mais indéfectible,
du type I'll be there when the deal goes
down, que chante Bob Dylan. Anne et Georges forment un couple serein et autonome,
à la fois moderne (elle a longtemps gagné sa vie) et vieillot (ils sont
branchés l'un sur l'autre comme des Siamois). Et puis, soudainement, Anne tombe
malade. Au fur et à mesure que la dépendance, due à la maladie, s'installe, leur
univers bascule. Ils deviennent des bourreaux l'un pour l'autre jusqu'à temps
que l'un puis l'autre (ne vendons pas la mèche) n'en puisse plus.
"Tu es un monstre mais tu es gentil",
dit Anne à son mari au début du film. Mais ce n'est qu'à la fin des deux heures
que la phrase prend tout son sens, moins comme définition du pauvre Georges,
que comme définition de l'amour comme tel.
Haneke démontre comment la cruauté et la
trahison dorment comme des chiens au pied de l'amour, jusqu'au jour où, mine de
rien, les bouledogues prennent le dessus. D'un couple qui s'était perdu l'un
dans l'autre avec bonheur, Anne et Georges deviennent des adversaires le jour
où leurs intérêts ne convergent plus parfaitement. La pente savonneuse du
sentiment amoureux, la voilà, brillamment illustrée.
La difficulté d'aimer aujourd'hui tient
sans doute à cette fine ligne entre se retrouver en quelqu'un, et se perdre, en
ce jeu de funambule qui consiste à ne jamais renier qui on est, tout en ne laissant
pas tomber l'autre. Pari impossible, semble dire Michael Haneke, mais encore
faut-il s'essayer. Avec le temps, les choses du coeur se compliquent, la
réalité aussi, mais ce n'est pas vrai qu'avec le temps, on aime plus.
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