Pas Stephen Harper, c'est clair. Au 43e jour de grève de la faim de la
cheffe d'Attawapiskat, et à une journée d'une autre possible rencontre avec des
chefs autochtones, le Premier ministre continue de bouder Theresa Spence comme
si de rien n'était. C'est à se demander qui des deux est plus obstiné : Mme Spence,
qui se dit prête à mourir pour la cause, ou M. Harper, qui n'est visiblement pas
prêt à se faire dicter une réunion au sommet par une simple cheffe de bande.
Il est fascinant de voir cette femme venue de loin, on dirait presque d'une
autre planète, faire un gigantesque pied de nez au PM malgré le fait qu'elle ne
soit ni très imposante ni très articulée, traînant combien d'années de misère
derrière elle, et, pourtant, déterminée à se "tenir debout en tant que
femme et en tant que chef".
Elle fait penser à cette dame qui apostropha Brian Mulroney d'un
retentissant "goodbye, Charlie Brown", après qu'il eut désindexé les pensions
de vieillesse. Un instinct du tonnerre pour ne pas s'en laisser imposer. Il
faut applaudir.
En même temps, on serait plus enclin à se réjouir si les revendications
de la cheffe étaient à la hauteur de son courage. Plus les jours de faim s'égrènent,
plus ce décalage pose problème. Son testament rédigé, Theresa Spence se dit
prête à aller jusqu'au bout. Mais tout ça pour la simple présence du gouverneur
général?
Mme Spence insiste depuis le début sur l'importance de la
"Couronne" dans toutes nouvelles négociations avec le gouvernement.
C'est sa façon, et d'autres chefs lui ont emboîté le pas, d'exiger le respect. Soit.
Même si la Couronne n'a pas toujours eu les meilleures intentions vis-à-vis les
Amérindiens (le but, dès 1763, était ultimement de les déposséder), et qu'elle
n'était en fait pas présente lors du traité qui concerne Attawapiskat, on peut
imaginer que les autochtones aient envie, pour une fois, de dicter les
conditions d'une entente.
Mais trop de choses se sont passées depuis quelques semaines pour que
Theresa Spence puisse s'en tenir à ce seul et unique refrain. Les deux visages
du mouvement de protestation, d'abord, se précisent. D'un côté, Idle No More,
l'élément plus dynamique, composé de jeunes autochtones éduqués, portés sur les
médias sociaux et mené par des femmes outrées par les lois C-38 et C-45 mais
aussi par la direction archi masculine de l'Assemblée des premières nations. De
l'autre, les chefs traditionnels de l'APN, quelque peu dépassés par leur
gauche, mais tentant de profiter de la mobilisation pour remettre les
revendications autochtones à l'ordre du jour, en recentrant notamment leurs
demandes sur le partage des ressources naturelles.
Du côté des chefs, on est davantage business;
du côté du grassroots, plus porté
vers l'environnement, la question des jeunes et des femmes. Theresa Spence, qui
agissait comme trait d'union entre les deux il y a 15 jours, est aujourd'hui
rejetée par une partie de l'establishment autochtone tout en tardant de faire
son lit auprès de Idle No More. Tant qu'à brandir le poing, tant surtout qu'à
se dire prête à mourir, on comprend mal pourquoi la cheffe ne dénonce pas à son
tour les lois mammouths de Harper, inacceptables à bien des égards et à
l'origine de tout ce branle-bas de combat.
En s'accrochant à un symbole plutôt qu'à du concret, Mme Spence ne
s'est malheureusement laissée aucune marge de manoeuvre. Si elle recule, elle
perd sa crédibilité. Si elle meurt, ou tombe très malade, il y aura levée de
boucliers nationale et internationale.
La question maintenant est qui des deux chefs, Harper ou Spence,
clignera des yeux le premier. Les paris sont ouverts.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire