Je ne voudrais pas être dans les souliers du
procureur général du Massachussets. Ni, d'ailleurs, dans ceux du prestigieux
Massachussets Institute of Technology (M.I.T.).
Le duo devait bientôt trainer en justice un
jeune gourou de l'informatique, Aaron Swartz, pour avoir détourné des milliers
de documents académiques. Seulement, le dénommé "kid genius" a été
trouvé pendu dans son appartement de Brooklyn, vendredi dernier. Il n'avait que
26 ans. Si trouvé coupable, il aurait été passible de 35 années de prison et 1
million de dollars d'amende.
Tout ça, pour avoir déposé un ordinateur
dans une armoire à balais du M.I.T., et ainsi accédé aux documents réservés aux
seuls abonnés. Il ne s'agissait pas de piratage proprement dit, seulement de détournement
de compte, lui permettant ainsi de "voler" la quasi totalité des
documents du serveur.
"Voler c'est voler, dit la procureure
de la couronne, Carmen M. Ortiz, que vous utilisiez un ordinateur ou des pinces,
que vous preniez des documents, des données ou des dollars".
Vous ne connaissez sans doute pas le nom
d'Aaron Swartz mais dites-vous qu'il fait partie de cette armée de l'ombre qui
a radicalement changé nos vies. L'internet est aujourd'hui le redoutable engin
que nous connaissons à cause de jeunes hommes comme lui qui, avant même d'être
sortis avec une fille, avaient tout compris de la cybernautique et imaginaient
des façons de le rendre plus performante.
A 14 ans, Aaron Swartz avait aidé à la
réalisation d'un code informatique, aujourd'hui très utilisé, qui permet de
s'inscrire à des programmes en ligne. Il aurait pu devenir riche avec ce type d'invention
mais le jeune super-doué c'est vite trouvé une autre vocation: l'accès à
l'information avec un grand A. Réaliser le plein potentiel, en d'autres mots,
de cet engin de découvertes infinies qu'est l'internet, en mettant tout genre
d'informations à la portée du monde entier. Littéralement.
"On appelle ça voler ou pirater, comme
si partager une mine de connaissances était moralement l'équivalent de piller
un navire et assassiner ses occupants. Mais partager
n'est pas immoral mais plutôt un impératif moral", écrit-il dans Guerrilla
Free Acess Manifesto.
Dans la mouvance de Wikileaks et
d'Anonymous qui, eux aussi, se sont rendus célèbres en disséminant de
l'information "privée", Aaron Swartz fait partie de ces nouveaux Robin
des bois des temps modernes remettant en cause non seulement toute censure mais
aussi l'idée d'une propriété intellectuelle "réservée", dont le
(fameux) droit d'auteur. Swartz a d'ailleurs participé à l'élaboration de
Creative Commons qui tente de trouver un compromis entre le droit d'auteur
--conçu bien avant et très mal adapté au principe de l'internet-- et celui d'un
accès universel à l'information. Ce projet est d'une importance capitale à
notre époque.
J'avoue qu'il y a une partie de moi (la
vieille partie, s'entend) qui trouve vaguement problématique la passion
dévorante de ces jeunes hommes pour l'internet, pour ce monde d'abstraction
totale "où tout ce qui compte c'est vos idées". Il y a une espèce de
désincarnation dans tout ça qui n'est peut-être pas étranger à la dépression
qui guettait Aaron Swartz. Pour ne rien dire de l'impunité qui découle de
continuellement habiter une planète virtuelle.
Aaron trainait sûrement une difficulté de
vivre mais le plus important est ailleurs. On ne parlerait pas de cette mort précoce,
tragique, à ce moment-ci, n'eût été de la voracité de la justice américaine
dans ce dossier. Aaron était hanté par l'idée d'être perçu comme un criminel.
Son décès remet en question le dogmatisme obtus d'un système incapable de faire
la distinction entre les vrais larrons et les militants d'un monde mieux
informé et plus égalitaire.
Ça vous rappelle quelque chose?...
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