Même si la Cour Suprême du Canada, la Cour d'Appel du Québec et le
fabuleux cahier de La Presse du weekend dernier vous y invitent à mots
couverts. Non, le mariage n'est pas une panacée et surtout pas plus
"équitable" que l'union libre, comme le laisse entendre nombreux juges
et commentateurs.
Grâce à l'ineffable Lola, nous discutons depuis des années maintenant
de la légalité du concubinage québécois qui, on le sait, est passé de
l'opprobre à une tendance lourde en une génération. On était 7.4% à oser l'aventure
en 1981, nous sommes près de 40% aujourd'hui. Fort de ces statistiques (un
record mondial), Lola et compagnie affirment qu'il est inconstitutionnel de ne
pas traiter les concubins de la même manière que les époux, d'autant plus que
60% des enfants naissent aujourd'hui en unions libres. Trait fascinant en soi
(s'il y a une raison de se marier, c'est bien pour les enfants), comme si les
Québécois étaient abonnés au risque, en traversant la rue comme en faisant des
bébés.
Si la Cour Suprême a finalement penché du côté des concubins, c'est de
justesse, une majorité se réclamant de la protection supérieure du contrat de
mariage. N'eût été de la sagesse de la juge en chef Beverley McLaughlin, qui invoque
le contexte social pour légitimer la loi québécoise, nous serions en plein
psycho drame II, revivant l'insulte de se faire dire, de haut, que nous sommes
irrespectueux de la loi[1].
La majorité des commentaires formulés depuis font d'ailleurs allusion à
"l'incohérence" de notre système et l'iniquité de l'union libre,
notamment pour les femmes.
Le problème c'est que ces commentaires abordent la question du stricte
point de vue des droits individuels, ce qui désavantage l'union libre. Mais il
y a tout un contexte social, un point de vue collectif (comme l'a pressenti Mme
McLaughlin), dont il faudrait également tenir compte. Permettez-moi, alors, ce
petit voyage dans le temps...
La flambée d'unions libres que connaît le Québec aujourd'hui est la
conséquence directe de la loi 89, une des réformes les plus importantes du PQ,
et une victoire incontestable du mouvement féministe d'alors. En avril 1981, ce
sont trois siècles de "monarchie domestique du mari" qui mordent
enfin la poussière, établissant, du moins au Québec, les mêmes droits et
obligations entre époux. Il y avait bien eu une réforme du code civile en 1964,
abolissant entre autre le "droit d'obéissance" au mari, mais il a
fallu attendre les années 80 pour que les femmes cessent d'être vues, une fois
pour toutes, comme des incapables au niveau juridique et des domestiques au
sein du foyer.
Désolée pour les mordues de magazines de mariées mais l'idée foncière
du mariage n'a rien de romantique. Il s'agit d'un système féodal où les femmes
devenaient littéralement la propriété de leur mari, la raison d'ailleurs de
prendre son nom à lui, ce que la loi 89 va désormais interdire. La fameuse
pension alimentaire réclamée aujourd'hui à grands cris découle directement de
ce système archaïque où les femmes s'engageaient à tenir maison (et idéalement
à faire des enfants) en échange d'être entretenues à vie. Pour une femme, le
contrat de mariage était essentiellement un contrat de travail, en d'autres
mots. Une victoire de Lola, précisément parce qu'elle était une femme
entretenue, nous aurait ramené 40 ans en arrière, au temps où les femmes
troquaient leur indépendance pour le droit "de réclamer des
aliments".
Le régime d'union de fait n'est pas parfait pour autant. C'est vrai
qu'il laisse dans le besoin beaucoup de femmes après une séparation,
désavantagées du fait que ce sont elles qui font les enfants, avec les
conséquences professionnelles qu'on connait. Mais on ne fait pas d'omelette sans
casser d'eux. Il y a 30 ans, il y avait un besoin criant de considérer
collectivement les femmes égales aux hommes, même si, individuellement,
plusieurs d'entre elles étaient encore loin du but.
Bref, arrêtons de lorgner le contrat de mariage comme modèle. La
solution est bien davantage du côté de l'union civile, une espèce de
concubinage avec garantie, dont trop peu de couples, faute d'information, se
prévalent. A noter que le PQ d'alors pensait doter l'union libre des mêmes
conditions que celles du mariage, telle une pension alimentaire, mais a dû
reculer à cause de protestations. A l'époque, on avait soif de liberté, et au
diable les mesures paternalistes aussi bienveillantes fussent-elles.
Le temps est sans doute
venue d'apporter les correctifs qui s'imposent, tout en ne perdant pas de vue
le chemin parcouru. C'est devant qu'on veut aller, pas derrière.