Je sais. On n'associe pas facilement
Stephen Harper (qui, selon Richard Desjardins, ressemble à une figure de
Playmobil) à un exercice de déhanchement lascif. Mais l'annonce en grande pompe
cette semaine de l'appropriation d'une partie des sables bitumineux par la
Chine équivalait à une danse du ventre sur la place publique.
Un petit coup de hanche par-ci pour nous
assurer que "le Canada n'était pas à vendre", un autre petit coup de
hanche par-là pour dire (aux investisseurs étrangers) que le pays était
néanmoins "open for business". On assistait, c'est le moins qu'on
puisse dire, à des contorsions de taille, d'ailleurs peu représentatives du premier
ministre canadien. Dire une chose et son contraire n'est pas tellement Stephen
Harper et, pourtant, c'est précisément ce qu'il faisait en donnant le feu vert à
la société d'état chinoise CNOOC, tout en précisant, la minute d'après, qu'il
ne permettrait plus ce qu'il venait de permettre.
"Sage décision", dit la
réaction au verdict tant attendu. De façon générale, commentateurs et
économistes ont applaudi le choix de Harper, voyant dans ce double discours une
façon de forcer la main de la Chine, pour ce qui est de nos propres
investissements chez eux, tout en protégeant le Canada des velléités de
sociétés étatiques étrangères.
Il faut dire que le premier ministre
canadien semble plus enclin, ces temps-ci, de mettre de l'eau dans son vin. Son
gouvernement a admis avoir fait une erreur en nommant un vérificateur général
unilingue et s'est depuis rangé derrière la proposition du NPD exigeant le
bilinguisme des grands commis de l'État. Harper s'est également inscrit en faux
contre les recommendations d'un comité conservateur cherchant à élargir les
catégories d'armes à feu permises au pays. Il a même tapé sur les doigts de son
ami Benjamin Netanyahu, suite à l'annonce par Israël de la création de
nouvelles colonies juives en territoire palestinien.
L'Histoire reconnaîtra sans doute Stephen
Harper comme un grand équilibriste sachant
ménager l'opinion publique canadienne
(plutôt au centre de l'échiquier politique) tout en poursuivant ses politiques
(beaucoup plus à droite). L'Histoire se souviendra aussi de lui comme d'un
grand cachotier. L'accord
commercial qui est derrière l'entente conclue cette semaine avec la Chine, l'Accord
sur la promotion et la protection des investissements étrangers (APIE), n'a pas
été soumis au Parlement malgré les réclamations des partis d'opposition. Au
cours des 20 dernières années, le Canada a signé 24 accords
semblables. Tous ont été étudiés pendant plusieurs jours en Chambre, sauf
celui-ci qui, de l'avis de plusieurs, est beaucoup plus complexe. Mis à part
les suspicions d'espionnage et de compétition déloyale qui collent aux
pratiques commerciales chinoises, il y a le fait que la Chine pèse très lourd
dans la balance, et le Canada très peu. Bref, elle a vraisemblablement un pouvoir
sur notre territoire que nous n'aurons jamais chez eux.
La Chine pourrait-elle donc poursuivre le
gouvernement canadien s'il tentait d'entraver l'exploitation des sables
bitumineux pour des raisons sanitaires ou environnementales?
C'est la crainte de plusieurs
environnementalistes. Au-delà du fait qu'une part des ressources naturelles albertaines
appartient désormais à un pays étranger, ce qui semble au moins inquiéter
Stephen Harper, il y a le scandale environnemental, ce qui ne semble pas
l'inquiéter le moindrement. Là-dessus, il demeure obstinément réactionnaire.
Après avoir renié son engagement envers l'accord de Kyoto, le gouvernement
Harper s'est vu décerner, à la conférence de Doha il y a deux semaines, le
"fossile du jour" pour avoir refusé d'aider les pays pauvres face
aux changements climatiques.
Les sables bitumineux, deuxième plus grande
réserve pétrolière au monde, expliquent d'ailleurs pourquoi le gouvernement a
renié ses engagements vis-à-vis la réduction des gaz à effet de serre. Il
fallait choisir entre les objectifs de réduction de gaz d'ici 2020 ou les
objectifs de doubler la production pétrolière des sables d'ici 2021 (à 4
milliards de barils par jour). En vendant une compagnie pétrolière à la Chine, deuxième
plus grande consommatrice d'énergie au monde, le gouvernement Harper vient de
faire résolument son nid. Et au diable l'environnement. En plus de détruire d'immenses
superficies de forêt boréal, les sables bitumineux sont beaucoup plus polluants
que la production pétrolière traditionnelle.
Bien des experts le disent: la dégradation
de l'environnement est la plus grave question éthique de l'heure. Quand cette vérité
finira par rattraper les contorsionnistes de ce monde, toutes leurs manoeuvres pour
mousser l'économie, au détriment de l'environnement, auront l'air aussi
ridicules qu'un homme bedonnant s'affairant à rouler des hanches.
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