Fort mauvaise blague que ce jugement
d'outrage au tribunal émis contre Gabriel Nadeau-Dubois. Quelqu'un devrait avertir
l'honorable Denis Jacques qu'il y a eu (grâce justement au mouvement étudiant) élection
au Québec, que les Libéraux ont perdu et que les méthodes dures préconisées par
le PLQ, notamment la loi 78 et l'appel aux tribunaux, ont non seulement été condamnées
par le Barreau du Québec mais rejetées par la majorité des Québécois. Bref, plusieurs
choses ont changé depuis le moment où la requête du tristement célèbre
Jean-François Morasse, l'étudiant en arts plastique qui s'est présenté deux fois
plutôt qu'une devant les tribunaux, lui a été soumis.
À lire son jugement, on se croirait six
mois derrière, alors que le gouvernement Charest voulait à tout prix faire
croire que les étudiants, et plus précisément Gabriel Nadeau-Dubois,
constituaient une menace à l'ordre établi. Le juge Denis Jacques reprend les
mêmes termes acrimonieux en accusant l'ex-porte-parole de la CLASSE de "prôner
l'anarchie et encourager la désobéissance civile". Sans se sentir le
moindrement obligé d'en faire la démonstration, par ailleurs.
On comprend l'intention de porter ce
jugement en appel, surtout après avoir lu les 20 pages en question. En plus de
faire fi des changements survenus au Québec, ce jugement est une insulte à
l'intelligence et, on l'espère, au droit comme tel.
Laissons de côté, pour l'instant, le fait
que le juge Jacques, pressenti comme candidat libéral en 2004, a des
accointances avec le PLQ. Il serait d'ailleurs intéressant de savoir comment sa
nomination à la Cour supérieur s'est faite (avec ou sans post-it ?..), mais c'est pour un autre jour.
Laissons de côté aussi le fait qu'il beurre
épais avec sa citation de John F. Kennedy ("le déni de la loi est le
chemin le plus sûr vers la tyrannie") étant donné que le président américain
défendait, ici, le droit d'un protestaire, James Meredith, premier Noir à fouler
le sol d'une université ségrégationniste en 1962. L'université du Mississippi voulait
évincer Meredith et il a fallu qu'il soit accompagné par des policiers pour être
admis. Kennedy craignait qu'il y ait de la violence contre l'étudiant téméraire et, dans un discours à la radio,
invoque le respect des nouvelles normes antiségrégationnistes, et non pas l'application
coûte que coûte de la loi.
C'est pas parce qu'on est juge, faut
croire, qu'on sait décoder les événements qui nous entourent.
Passons aussi sur la litanie de
citations qui cherche à démontrer comment l'outrage au tribunal "vise à
garantir la primauté du droit sur l'arbitraire." Vu le détournement de
sens fait des mots de Kennedy, ces citations ne sont guère convaincantes en
plus d'être prises hors contexte.
Venons-en à l'essentiel et, surtout, à ce
que le juge Jacques ne dit pas.
D'abord, que l’outrage
au tribunal est "la seule occasion en matières civiles où la peine
d’emprisonnement est applicable" (voir http://www.faitsetcauses.com/2012/11/01/gnd-apres-loutrage-au-tribunal-lamende-ou-la-prison/). C'est donc extrêmement grave comme
accusation et ne peut être portée qu'avec beaucoup de discernement. L'outrage
au tribunal exige que la preuve soit faite "hors de tout doute raisonnable",
le magistrat devant démontrer de façon indubitable que l'accusé avait comme
intention de miner "l'autorité et la dignité de la cour."
Le juge Jacques ne fait absolument
pas cette démonstration. Il admet, d'ailleurs, que l'ordonnance d'injonction, obtenue par Jean-François Morasse, le 12 avril 2012,
n'a pas été "signifiée", c'est-à-dire remise en mains propres, à
Gabriel Nadeau Dubois, la seule façon d'être absolument sûr de la transmission
d'informations. C'est pour ça que les huissiers existent.
Il admet aussi que l'Association des
étudiants en arts plastiques qui, elle, avait copie de l'ordonnance, ne l'a pas
transmise au porte-parole de la CLASSE, non plus. Le juge déduit seulement que,
vu les propos tenus à RDI, Gabriel Nadeau-Dubois devait connaître l'ordonnance.
C'est ce qu'on appelle faire les coins ronds.
Interrogé à RDI le 13 mai 2012, GND dit
regretter le manque de solidarité de certains étudiants devant la "volonté
démocratique qui s'est exprimée à travers le vote de grève." Il poursuit: "je
crois qu'il est tout à fait légitime pour les étudiants et étudiantes de
prendre les moyens pour faire respecter le choix démocratique qui a été fait
d'aller en grève."
Non seulement ces propos ne reflètent pas
"hors de tout doute" la connaissance de l'ordonnance du 12 avril, il
s'agit d'une opinion personnelle ("je crois") et non, comme le
maintient le juge Jacques, une incitation "à contrevenir" à l'ordonnance.
Comme dit un commentateur du site juridique Faits et Cause: "Est-ce légal
pour un juge de travestir les propos de l'accusé?"
De plus, le juge justifie son accusation d'incitation à
contrevenir à la loi en contrastant, à trois reprises, les propos tenus par Gabriel Nadeau-Dubois
avec ceux de son confrère Léo Bureau-Blouin, alors leader de la FECQ et également
interviewé à RDI ce jour-là. M.
Bureau-Blouin, on le sait, a toujours été considéré le leader étudiant le plus
modéré. Ce qu'on sait moins, et ce que de toute évidence le juge ici ignore,
c'est que LBB ne voulait pas de cette grève, qu'il y a été forcé par ces
propres membres, près d'un tiers de son membership l'abandonnant par la suite
en faveur de la CLASSE, vu la mollesse de direction à la FECQ.
Ce qui m'amène à la lacune la plus criante de ce jugement : nulle part admet-on le droit de mobilisation ou d'assemblée des étudiants.
Alors qu'un jugement antérieur précise que "le Tribunal ne discute pas le
droit de certains étudiants de soutenir et de participer au boycottage des
cours", le juge Jacques, lui, se contente d'affirmer que "le droit de
grève étudiant ne trouve assise dans aucune loi".
De là à traiter Gabriel
Nadeau-Dubois de méchant anarchiste, il n'y a qu'un pas, franchi
ici allègrement. En disant vouloir "sauvegarder la confiance
du public en l'administration de la justice", le juge Jacques vient, au
contraire, de la miner.
En attendant que la Cour d'appel se
prononce sur ce jugement éhontément biaisé, il y a urgence pour le nouveau
gouvernement, ainsi que pour le Barreau du Québec, d'éclaircir le statut légal
des associations étudiantes.
Au même titre que les syndicats, leurs droits de protestation et de
mobilisation doivent être reconnus.
Ceux et celles qui nous ont redonné le goût de se
tenir debout méritent mieux que de croupir dans un flou juridique.
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