Un cube de sucre à côté d'un gallon de
café. L'expression est du romancier Yves Beauchemin et résume, mieux que les
statistiques encore, le sentiment de péril en la demeure qui revient
périodiquement nous hanter, petite minorité francophone en Amérique que nous
sommes.
Les dernières statistiques, faut dire, n'ont
rien de très rassurant. Peu importe si les données ne sont pas entièrement
fiables, nous dit Statistiques Canada, le mal est fait. Ou devrais-je dire le
bien? Ce nest jamais de trop de se poser la question de la survivance puisqu'au
fond, c'est notre raison d'être, LA chose qui nous distingue des voisins et
nous donne, comme dirait René Homier-Roy, du pep dans le soulier.
Merci, donc, à Stephen Harper d'avoir fait
sauter la version longue du recensement, ce qui a tordu quelque peu les derniers
résultats, notamment en gonflant le nombre de personnes ayant l'anglais comme
langue maternelle. Comme ça, on
peut, nous, s'énerver un peu plus et l'haïr, lui, davantage.
Mais parmi toutes les prescriptions qui
circulent pour mieux défendre le français, il y a celle, assez curieuse, de
s'en prendre au français acadien. Dans Le Devoir, Christian Rioux se lamente du
franglais du groupe Radio-Radio et Antoine Robitaille reprend sensiblement la
même toune en pointant la chanteuse Lisa
Leblanc.
Peut-être parce que j'ai les deux pieds au
Nouveau-Brunswick en ce moment, ou peut-être parce que j'ai grandi (ai-je le
courage de l'avouer?...) à Ottawa, je sens le besoin de dire hold your horses. C'est trop facile de
cracher sur les anglicismes des francophones hors QC, alors que le français
québécois, telle que pratiqué dans les rues de Montréal notamment, n'est pas
toujours un modèle d'élégance. Les gens qui vivent dans des maisons de verres
(comme disent les Chinois), ne devraient pas tirer de roches.
A n'y voir que du feu, c'est-à-dire de
l'anglais, il me semble qu'on passe ici à côté de quelque chose de fondamental.
D’abord, c’est immensément plus difficile, voire héroïque, de résister à l’anglais
en Acadie ou en Ontario, on n'ose même pas imaginer le Manitoba, la
Saskatchewan ou les Territoires du nord-ouest, qu’au Québec. Le vrai miracle de
la survivance, il est là. Et pourtant, il n’est à peu près jamais reconnu par
les francophones purs et durs du Québec.
Il faut être obstiné pas à peu près,
capable de vivre un peu tout seul dans sa bulle, se foutre de ce que les autres
pensent --on vit après tout dans un monde où tout le monde rêve d'être un winner, de faire partie du groupe dominant--
il faut être magnifiquement anormale pour maintenir la francité contre vents et
marées. Et puis, il y a la pure inventivité et gymnastique de la langue, l’espièglerie
consommée de continuellement puiser dans les deux langues en même temps.
D’accord. "Les lights étaient on mais le driver était gone", c'est
peut-être pousser l'enveloppe un peu loin. Mais essayez, pour voir. Garanti que ça brasse les neuronnes.
"Câlice de tabarnac de maudit bâtard" n’en demande pas tant, je vous
en passe un papier.
Du haut de sa majorité, le Québec n'a pas
l'impression que les petites minorités éparpillées au pays, ces négligeables petites
miettes de sucre, comptent dans la grande bataille contre l'Apocalypse. Comme
disait René Lévesque, tous des "dead ducks" (l'anglais est de lui)
dans l'espace de quelques générations. Ils sont plus vulnérables, bien sûr. Il
est évident aussi que pour se développer, pas seulement tenir le fort, il faut
plus que des gens qui parlent français. Il faut quelque chose qui s'appelle de
la culture et par conséquent, une masse critique de gens qui veulent imaginer
leur existence ensemble.
Mais il ne faudrait pas sous-estimer leur
valeur pour autant. Les francos extramuros sont comme des canaries dans la
mine. Le jour où ils vont tomber de leur perchoir est le jour où nous piquerons
tous un peu plus du nez.
Bref, n'est-il pas temps d'adopter une
autre attitude dans cet éternel débat linguistique? La discussion est souvent plate
à mort parce qu'elle consiste surtout à taper sur l'anglais et à chercher à
punir les bilinguals, plutôt qu'à célébrer la langue que nous
avons, inévitablement anglicisée qu'elle peut parfois être. Tenez. Un des plus
beaux mots québécois est, en fait, un mot anglais. Enfirouapé, qui vient de
"in fur wrapped" (enveloppé dans la fourrure). Autre belle
gymnastique que celle-là.
L'anglais règne aujourd'hui sur le monde entre
autre parce qu'elle est d'une flexibilité extraordinaire, empruntant à droite
et à gauche (il y en a trois fois plus de mots en anglais qu'en français). Bref,
moins fesses serrées. Il faudrait s'en souvenir. Et puis, avant de rendre le cégep
français obligatoire, pourrait-on pas commencer par faire des campagnes de
valorisation et d'amélioration du français? Pourrait-on pas commencer par rendre l'objet même de notre
désir plus attrayant? 'Stie.
Comme les Lisa Leblanc, Patrice Desbiens,
Jean-Marc Dalpé et autres "francos" venus du dark side, j'ai opté
pour le Québec afin de ne pas juste conserver mais célébrer mon identité
francophone. Mais la célébration, c'est pour quand au juste?
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