Après Stephen Woodworth, voici Mark
Warawa, un autre député
conservateur d'arrière banc voulant rouvrir le débat sur l'avortement, malgré
les prétentions contraires du conservateur en chef, Stephen Harper. Difficile
de ne pas voir là un espèce de jeu d'échecs redoutable. Le gouvernement Harper
pourrait bien être en train de devenir le Bobby Fisher de la politique
fédérale.
Il y a à peine une semaine, le Parlement a
été appelé à voter sur la motion du député Woodsworth visant à redéfinir le
moment où commence la vie humaine. Bien que défait en Chambre, la moitié des
députés conservateurs ont voté en faveur de ce projet de loi, dont 10 ministres,
incluant l'inconséquente ministre de la condition féminine, Rona Ambrose, et
l'influent ministre de l'immigration, Jason Kenney.
Stephen Harper a beau répéter que le débat
sur l'avortement n'est pas sa tasse de thé, il est évident que son parti,
aujourd'hui majoritaire, est de plus en plus enclin à montrer ses vraies
couleurs, c'est-à-dire sa morale conservatrice (dont les femmes, évidemment,
sont les premières à faire les frais). Comme le disait le chroniqueur du Globe
and Mail John Ibbitson, impossible
de ne pas voir dans cette prise de position, notamment de la part d'un Jason Kenney,
la voie vers laquelle se dirige le PC, sinon sous Stephen Harper, du moins sous
le prochain chef.
Ce qu'il y a d'intéressant dans la motion
de Mark Warawa, déposée une journée seulement après celle de son collègue
Woodworth, c'est qu'elle vise, à primes abords, un but contraire : l'arrêt des
avortements liés au sexe. Se disant perturbé par de récentes données indiquant
que, dans certaines communautés, des femmes avortaient en apprenant qu'elles
portaient une fille, voici donc un député conservateur se portant à la défense
--ô surprise!-- de l'égalité hommes-femmes. C'est la couleuvre, du moins, que
voudrait nous faire avaler M. Warawa.
L'odieux de cette pratique ne peut, bien
sûr, laisser personne indifférent. Le député en est que trop conscient. "Je pense que nous
avons ici un projet de loi que tout le monde peut appuyer", dit-il. C'est
précisément là où le jeu d'échecs entre en ligne de compte. La manoeuvre vise à
amener des gens qui n'ont pas d'opinions arrêtées sur la question de
l'avortement de se mouiller. Ou
mieux, d'amener des personnes qui ont toujours défendu l'avortement, au nom du
droit des femmes, de s'élever contre la pratique pour les mêmes raisons. La
pente est savonneuse en ti-ti. Une fois l'avortement jugé inacceptable pour une
raison bien identifiée, il est difficile de prétendre que sa pratique n'est pas
toujours inacceptable.
Heureusement, les associations féministes
comme les députés de l'opposition n'ont pas l'intention de se laisser berner
par cette manoeuvre. "Nous ne croyons pas pour un instant que cette motion
vise réellement en enrayer la sélection des foetus", selon Julie Lalonde de
la Coalition pour les droits à l'avortement. Mais bien qu'il est fort probable
que la motion soit défaite, lors du vote prévu le printemps prochain, elle aura
réussi à rouvrir, encore une fois, le débat sur l'avortement. Précisément ce
dont Stephen Harper clame qu'il ne veut pas.
Mine de rien, on force les gens à
relativiser le droit des femmes de choisir leurs grossesses au nom du droit des
foetus femelles d'exister. En d'autres mots, on en train d'ériger une sorte
d'hiéarchie des droits des femmes où celles des non-nées auraient précédence
sur les femmes existantes.
A bien y penser, la manoeuvre est digne de
Machiavel, bien davantage que de Bobby Fisher, et est à condamner de plus
belle.
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