mercredi 31 octobre 2012

Le cube de sucre



Un cube de sucre à côté d'un gallon de café. L'expression est du romancier Yves Beauchemin et résume, mieux que les statistiques encore, le sentiment de péril en la demeure qui revient périodiquement nous hanter, petite minorité francophone en Amérique que nous sommes.

Les dernières statistiques, faut dire, n'ont rien de très rassurant. Peu importe si les données ne sont pas entièrement fiables, nous dit Statistiques Canada, le mal est fait. Ou devrais-je dire le bien? Ce nest jamais de trop de se poser la question de la survivance puisqu'au fond, c'est notre raison d'être, LA chose qui nous distingue des voisins et nous donne, comme dirait René Homier-Roy, du pep dans le soulier.

Merci, donc, à Stephen Harper d'avoir fait sauter la version longue du recensement, ce qui a tordu quelque peu les derniers résultats, notamment en gonflant le nombre de personnes ayant l'anglais comme langue maternelle.  Comme ça, on peut, nous, s'énerver un peu plus et l'haïr, lui, davantage.

Mais parmi toutes les prescriptions qui circulent pour mieux défendre le français, il y a celle, assez curieuse, de s'en prendre au français acadien. Dans Le Devoir, Christian Rioux se lamente du franglais du groupe Radio-Radio et Antoine Robitaille reprend sensiblement la même toune en pointant la chanteuse Lisa Leblanc.

Peut-être parce que j'ai les deux pieds au Nouveau-Brunswick en ce moment, ou peut-être parce que j'ai grandi (ai-je le courage de l'avouer?...) à Ottawa, je sens le besoin de dire hold your horses. C'est trop facile de cracher sur les anglicismes des francophones hors QC, alors que le français québécois, telle que pratiqué dans les rues de Montréal notamment, n'est pas toujours un modèle d'élégance. Les gens qui vivent dans des maisons de verres (comme disent les Chinois), ne devraient pas tirer de roches.

A n'y voir que du feu, c'est-à-dire de l'anglais, il me semble qu'on passe ici à côté de quelque chose de fondamental. D’abord, c’est immensément plus difficile, voire héroïque, de résister à l’anglais en Acadie ou en Ontario, on n'ose même pas imaginer le Manitoba, la Saskatchewan ou les Territoires du nord-ouest, qu’au Québec. Le vrai miracle de la survivance, il est là. Et pourtant, il n’est à peu près jamais reconnu par les francophones purs et durs du Québec.

Il faut être obstiné pas à peu près, capable de vivre un peu tout seul dans sa bulle, se foutre de ce que les autres pensent --on vit après tout dans un monde où tout le monde rêve d'être un winner, de faire partie du groupe dominant-- il faut être magnifiquement anormale pour maintenir la francité contre vents et marées. Et puis, il y a la pure inventivité et gymnastique de la langue, l’espièglerie consommée de continuellement puiser dans les deux langues en même temps. D’accord. "Les lights étaient on mais le driver était gone", c'est peut-être pousser l'enveloppe un peu loin. Mais essayez, pour voir. Garanti que ça brasse les neuronnes. "Câlice de tabarnac de maudit bâtard" n’en demande pas tant, je vous en passe un papier.

Du haut de sa majorité, le Québec n'a pas l'impression que les petites minorités éparpillées au pays, ces négligeables petites miettes de sucre, comptent dans la grande bataille contre l'Apocalypse. Comme disait René Lévesque, tous des "dead ducks" (l'anglais est de lui) dans l'espace de quelques générations. Ils sont plus vulnérables, bien sûr. Il est évident aussi que pour se développer, pas seulement tenir le fort, il faut plus que des gens qui parlent français. Il faut quelque chose qui s'appelle de la culture et par conséquent, une masse critique de gens qui veulent imaginer leur existence ensemble.

Mais il ne faudrait pas sous-estimer leur valeur pour autant. Les francos extramuros sont comme des canaries dans la mine. Le jour où ils vont tomber de leur perchoir est le jour où nous piquerons tous un peu plus du nez.

Bref, n'est-il pas temps d'adopter une autre attitude dans cet éternel débat linguistique? La discussion est souvent plate à mort parce qu'elle consiste surtout à taper sur l'anglais et à chercher à punir les bilinguals, plutôt qu'à célébrer la langue que nous avons, inévitablement anglicisée qu'elle peut parfois être. Tenez. Un des plus beaux mots québécois est, en fait, un mot anglais. Enfirouapé, qui vient de "in fur wrapped" (enveloppé dans la fourrure). Autre belle gymnastique que celle-là.

L'anglais règne aujourd'hui sur le monde entre autre parce qu'elle est d'une flexibilité extraordinaire, empruntant à droite et à gauche (il y en a trois fois plus de mots en anglais qu'en français). Bref, moins fesses serrées. Il faudrait s'en souvenir. Et puis, avant de rendre le cégep français obligatoire, pourrait-on pas commencer par faire des campagnes de valorisation et d'amélioration du français? Pourrait-on pas commencer par rendre l'objet même de notre désir plus attrayant? 'Stie.

Comme les Lisa Leblanc, Patrice Desbiens, Jean-Marc Dalpé et autres "francos" venus du dark side,  j'ai opté pour le Québec afin de ne pas juste conserver mais célébrer mon identité francophone. Mais la célébration, c'est pour quand au juste?

lundi 22 octobre 2012

Applaudir Lino Zambito?



Lino Zambito, le gars "aux faux airs de Robert de Niro",  est partout. Le rôle que l'ex-boss de construction a joué à la Commission Charbonneau le rend sans doute incontournable. Même si d'excellentes enquêtes journalistiques nous avaient déjà mis au parfum de faits troublants --pots-de-vin, collusion, financement occulte des partis politiques-- il a fallu son méticuleux dépeçage de la situation, sous serment, rappelons-le, pour que tous les morceaux tombent en place. Il y a quelque chose de pourri dans le royaume et personne, désormais, peut en douter.  

Mais de là à inviter le témoin vedette à Tout le monde en parle ? Et surtout, à l'applaudir sur le plateau?...

Le très populaire TMEP ne donne pas que dans l'étalage de vedettes, c'est vrai, et navigue assez bien, règle générale, entre ses nombreuses entrevues "poudrées" (de stars) et ses moins nombreuses entrevues "visage à découvert" (d'affaires publiques), bien que celles-ci soient, de par la nature même de l'émission, assez soft merci.  Avec ses deux animateurs qui immanquablement bondissent sur scène, chaque dimanche, embrassant par-ci, serrant des mains par-là, l'atmosphère est non seulement bon enfant mais donne l'impression d'un petit clan aux codes bien précis. Le sentiment d'être "entre nous" à TMEP est omniprésent.

Vous me voyez venir? Lino Zambito, malgré ce qu'on lui doit, est un homme accusé d'une bonne partie des crimes qu'il a si bien décrits devant la Commission Charbonneau. De matamore qu'il était à l'émission Enquête en 2009, il endosse désormais les habits du gentleman bandit. Non, il n'a pas toujours été un ange mais, que voulez-vous (gros haussement de grosses épaules, ici, le regard bien appuyé...), le système est ainsi fait. Oui, il a frayé avec la mafia mais son souhait le plus sincère "pour ses enfants", comme pour l'ensemble des Québécois, c'est de contribuer aujourd'hui à assainir le système...

Allô? Planète Terre aux gagas de TMEP...  Lino Zambito joue le bon gars aujourd'hui de la même façon qu'il a joué le tough as nails, il y quelques années : parce que c'est dans son intérêt. Punto. Il n'y a rien de particulièrement brave ou héroïque là-dedans. Je ne dis pas qu'il aurait fallu lui lancer des tomates mais de là à applaudir un escroc, avec un certain talent d'acteur, soit, il y a un pas à ne pas franchir.

Malgré ses dons oratoires (et son faciès non pas à la de Niro mais à la Sylvester Stallone, le gros beef qui ne demande qu'une deuxième chance dans la vie...), M. Zambito n'aurait sans doute pas réussi cet exploit dans aucune autre émission d'affaires publiques. C'est précisément parce que l'émission obligée du dimanche suinte l'enceinte sacrée --n'entre pas qui veut, dans ce temple de la renommée-- que la pente était savonneuse. L'émission agit comme un perpétuel hommage à nos vedettes du petit écran. Le simple fait d'y être admis élève l'heureux élu dans les rangs de la grande (mais aussi petite) famille québécoise. Veux, veux pas, les blagues et le bon vin aidant, Lino Zambito à la fin de sa prestation était devenu un peu moins répréhensible, et un peu plus un des nôtres.

Sans doute la raison pour laquelle il a lui-même demandé d'être invité à TMEP. Sans doute aussi la raison pourquoi il aurait fallu lui refuser cet honneur.

mercredi 17 octobre 2012

Une fille qui brasse, il y en a pas 12,000



Malgré tous les commentaires générés par l'affaire "728" pas un, du moins que j’ai lu, qui parle du fait qu’il s’agisse d’une femme. Ce n’est pourtant pas anodin. On a beau dire que Stéfanie Trudeau n’est pas un cas isolé, si la désormais célèbre policière de la SPVM scandalise autant, et déclenche autant de menaces de mort, c’est en partie parce qu’elle est une femme.  
C’est immensément plus "laid" pour une femme de déraper comme elle l’a fait que pour n’importe quel de ses collègues masculins. Un homme qui joue le bourreau, notamment dans la police, n'a rien de très surprenant. Mais une femme?... Ex-responsable de la formation à la SPVM, Vincent Arseneau, écrivait dans Le Devoir cette semaine que l'attitude et comportement de la policière étaient ceux d'une "bête sauvage”. Ça m'étonnerait qu'il ait écrit ça d'un agent du sexe fort.
La transgression est d’autant plus outrancière, et le spectacle immonde, que c’est la nature (féminine) elle-même qui transgresse ici. Du moins est-ce l'impression qui s'en dégage. Il s'agit de quelque chose de plus grave qu'un simple pétage de plomb. Bref, on reste avec l'idée qu'il y a quelque chose de véritablement tordue chez une femme qui, visiblement, veut non seulement se comporter comme un homme, mais le pire macho qui soit.
Je n'ai pas non plus entendu ou lu le mot "lesbienne", mais c'est évidemment aussi ce que tout le monde pense tout bas. Un autre aspect qui n'arrangera rien pour les femmes dans la police.  Bien que l'incident 728 devrait avoir des effets bénéfiques sur l'attitude préconisée à la SPVM, comme sur les mécanismes de détection de "pommes pourries", ça risque aussi de mettre les policières un peu plus sur la corde raide. Dans un métier aussi manifestement masculin, il n'a pas dû être toujours facile pour les Stéfanie Trudeau de ce monde d'être acceptées. On a d'ailleurs un peu envie de lui demander ce qu'elle a mangé comme claques pour être bête de même. On ne naît pas méchante, on le devient.
Après de telles bavures, il se pourrait qu'on scrute la candidature de femmes polices plus attentivement, pour ne pas dire suspicieusement. Dommage. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais, règle générale, les policières ne ressemblent aucunement à Stéfanie Trudeau par les temps qui courent. J'ai eu affaire à quelques reprises avec la police de Montréal au cours des derniers mois et, à chaque fois, j'ai été frappée par leur courtoisie, leur souci d'aider et leur empathie, tant du côté des policiers que des policières. Et pour ce qui est du physique de ces dernières, c'est à se demander si on ne les choisit pas un peu pour leur look. Elles sont belles à voir, ces policières, parce qu'elles semblent n'avoir rien sacrifié de leur attrait physique au culot que leur demande leur métier. C'est dire qu'il y a eu une évolution des moeurs depuis l'arrivée de Stéfanie Trudeau à la police de Montréal.
Mais sans doute y a-t-il encore du chemin à faire.
Dans son article, Vincent Arseneau distingue entre le modèle de police communautaire et celui de "combattant du crime", déplorant que la SPVM ait choisi d'augmenter les effectifs de ce dernier au détriment de l'autre. Tous ceux et celles qui soignent encore leurs bleus suite aux manifs de ce printemps se sont frottés à ce deuxième modèle et entretiennent, à juste titre, une piètre opinion de la police. Mais si, comme moi, pour des raisons de chicane de voisins, de violence conjugale ou de vol à l'étalage, vous avez eu affaire à l'autre genre de police, alors c'est possible d'avoir une toute autre impression des forces de l'ordre.
Souhaitons que l'affaire Stéfanie Trudeau face pencher la balance encore davantage vers le modèle soft des effectifs policiers que du modèle hard.

mercredi 10 octobre 2012

Le baiser de la victoire tourne au vinaigre



La photo a fait cent fois le tour du monde et capture magnifiquement la jubilation d'après-guerre. Prise à New York le jour de la capitulation du Japon, le 14 août, 1945, on y voit un marin américain, petit chapeau blanc bien calé sur la tête, embrassant fougueusement une femme vêtue de blanc. C'est du Fred Astaire et Ginger Rogers tout craché tellement le geste est théâtral, la femme renversée par derrière, l'homme penché passionnément sur elle. La rencontre de l'Amour et la Liberté...

Ce n'est pas tout à fait ce qu'en pense une blogueuse londonienne qui assimile le geste à de l'agression sexuelle, pure et simple. Toute une hypothèse. C'est l'équivalent de déclarer que La Joconde, le symbole par excellence du mystère féminin, est un homme (rumeur qui a d'ailleurs déjà circulé).

Comment cette blogueuse, connue sous le nom de Leopard, et dont les propos ont eux aussi fait le tour du monde, arrive-t-elle à voir un geste d'agression là où l'on a toujours vu de la célébration?

Ce n'est que cette année que l'identité des deux amoureux a enfin été connue. Il s'agit de George Mendonsa, ex-marin de la US Navy, et de Greta Zimmer Friedman, ex-infirmière dentaire, 89 ans tous les deux, et bel et bien en vie. Contrairement à ce qu'on a pu croire toutes ces années, les deux ne formaient pas un couple. La vraie femme de Mendonsa est d'ailleurs en arrièrre-plan dans la photo, souriant, un peu étonnée, de l'effronterie de son époux. Son George, en plus, était un brin éméché. 

Mais c'est surtout les propos de la dame en blanc, interviewée par CBS, qui ont fait bondir la blogueuse. "Je n'avais pas choisi d'être embrassée, le gars m'a juste empoignée", dit Mme Zimmer Friedman, notant au passage la force de son Roméo. La blogueuse de Londres, ajoutant que d'autres clichés du même moment montrent l'infirmière avec un poing plaqué contre la joue du marin, comme pour se défendre, conclut donc qu'il s'agit d'une agression. C'est seulement "l'aveuglement sélectif de la culture de viol dans laquelle nous vivons", dit-elle, qui permet de perpétuer l'interprétation romantique et sentimentale de la célèbre photo.

Si j'étais prof d'éthique, je soumettrais la question à mes étudiants. Faut-il voir dans ce baiser un beau geste, le plus beau, en fait, qui soit, ou au contraire, le plus insidieux et, pour les femmes, le plus dangereux qui soit?...

Inutile de dire que la désormais célèbre blogueuse, Leopard, est féministe. Moi aussi. Je partage son émoi face à la banalisation du viol. Qu'il s'agisse de pubs, de paroles de rappe ou de films porno, l'appropriation du corps des femmes est omniprésente et problématique. On voudrait que ça cesse. Je crois aussi que trop de femmes se sentent obligées d'endurer des sessions de flirt et de tripotage "sans rien dire", un premier pas vers l'agression sexuelle pure et dure.

Mais de là à décrier V-J Day in Times Square, le titre de la photo, comme une supercherie?...

Toute la difficulté du mouvement féministe est admirablement inscrite, en fait, dans cette photo. Si le féminisme a mis autant de temps à prendre son envol, si les critiques qu'il a dû essuyer, et essuie encore, sont aussi acerbes ("toutes des mal baisées"), c'est précisément que le féminisme agit comme un reality check des rapports hommes-femmes. C'est immensément plus délicat, comme analyse, que celle qui concerne, par exemple, la lutte des classes. Les riches et les pauvres ne vivent pas ensemble et tombent assez rarement amoureux l'un de l'autre. Alors que la proximité, pour ne pas dire l'amour, entre hommes et femmes, est depuis toujours le fondement de la société dans laquelle on vit.

La peur de mettre la hache dans la grande promesse de ce bas monde, l'amour (justement), est la raison pourquoi tant de gens, incluant des femmes, se dissocient du féminisme. C'est aussi pourquoi Leopard s'est fait traiter de tous les noms suite à son blogue. On ne détruit pas un icône impunément.

Pour ma part, tout en applaudissant aux questions que pose ma consoeur blogueuse, je n'arrive pas à voir de véritable agression dans cette photo, plutôt un joyeux débordement.

Je ne doute pas que M. Mendonsa ait été un peu macho sur les bords. (Depuis 1945, "il n'a pas arrêté de vouloir embrasser les femmes", nous dit sa légitime épouse). Mais son désir de célébration est tellement légitime, tellement contagieux  -- il voulait célébrer la fin d'un conflit qui aurait pu lui coûter la vie -- tellement loin d'un geste de domination ou d'humiliation, qu'il faut bien pardonner l'absence de permission.  Et puis, que seraient les rapports humains entièrement soumis à des codes de conduites, sans spontanéité ni enthousiasme? Comme dirait Brel, il faut que bien le corps exulte.

Bref, il y a des moments où le bon sens doit tout simplement l'emporter sur l'idéologie.

dimanche 7 octobre 2012

Avortement, prise deux



Après Stephen Woodworth, voici Mark Warawa,  un autre député conservateur d'arrière banc voulant rouvrir le débat sur l'avortement, malgré les prétentions contraires du conservateur en chef, Stephen Harper. Difficile de ne pas voir là un espèce de jeu d'échecs redoutable. Le gouvernement Harper pourrait bien être en train de devenir le Bobby Fisher de la politique fédérale.

Il y a à peine une semaine, le Parlement a été appelé à voter sur la motion du député Woodsworth visant à redéfinir le moment où commence la vie humaine. Bien que défait en Chambre, la moitié des députés conservateurs ont voté en faveur de ce projet de loi, dont 10 ministres, incluant l'inconséquente ministre de la condition féminine, Rona Ambrose, et l'influent ministre de l'immigration, Jason Kenney.

Stephen Harper a beau répéter que le débat sur l'avortement n'est pas sa tasse de thé, il est évident que son parti, aujourd'hui majoritaire, est de plus en plus enclin à montrer ses vraies couleurs, c'est-à-dire sa morale conservatrice (dont les femmes, évidemment, sont les premières à faire les frais). Comme le disait le chroniqueur du Globe and Mail John Ibbitson,  impossible de ne pas voir dans cette prise de position, notamment de la part d'un Jason Kenney, la voie vers laquelle se dirige le PC, sinon sous Stephen Harper, du moins sous le prochain chef.

Ce qu'il y a d'intéressant dans la motion de Mark Warawa, déposée une journée seulement après celle de son collègue Woodworth, c'est qu'elle vise, à primes abords, un but contraire : l'arrêt des avortements liés au sexe. Se disant perturbé par de récentes données indiquant que, dans certaines communautés, des femmes avortaient en apprenant qu'elles portaient une fille, voici donc un député conservateur se portant à la défense --ô surprise!-- de l'égalité hommes-femmes. C'est la couleuvre, du moins, que voudrait nous faire avaler M. Warawa.

L'odieux de cette pratique ne peut, bien sûr, laisser personne indifférent.  Le député en est que trop conscient. "Je pense que nous avons ici un projet de loi que tout le monde peut appuyer", dit-il. C'est précisément là où le jeu d'échecs entre en ligne de compte. La manoeuvre vise à amener des gens qui n'ont pas d'opinions arrêtées sur la question de l'avortement  de se mouiller. Ou mieux, d'amener des personnes qui ont toujours défendu l'avortement, au nom du droit des femmes, de s'élever contre la pratique pour les mêmes raisons. La pente est savonneuse en ti-ti. Une fois l'avortement jugé inacceptable pour une raison bien identifiée, il est difficile de prétendre que sa pratique n'est pas toujours inacceptable.

Heureusement, les associations féministes comme les députés de l'opposition n'ont pas l'intention de se laisser berner par cette manoeuvre. "Nous ne croyons pas pour un instant que cette motion vise réellement en enrayer la sélection des foetus", selon Julie Lalonde de la Coalition pour les droits à l'avortement. Mais bien qu'il est fort probable que la motion soit défaite, lors du vote prévu le printemps prochain, elle aura réussi à rouvrir, encore une fois, le débat sur l'avortement. Précisément ce dont Stephen Harper clame qu'il ne veut pas.

Mine de rien, on force les gens à relativiser le droit des femmes de choisir leurs grossesses au nom du droit des foetus femelles d'exister. En d'autres mots, on en train d'ériger une sorte d'hiéarchie des droits des femmes où celles des non-nées auraient précédence sur les femmes existantes.

A bien y penser, la manoeuvre est digne de Machiavel, bien davantage que de Bobby Fisher, et est à condamner de plus belle.