Le Québec fabriquerait-il des fous furieux
politiques?...
Denis Lortie, Marc Lépine et voici
maintenant, Richard Henry Bain, trois hommes venus ébranler l'idée que nous
nous faisons de nous-mêmes, en tirant impunément sur des innocents. C'est sans
compter évidemment Valéry Fabrikant et Kimveer Gill qui, tous, ont réglé leurs
comptes le fusil au poing. Seuls les trois premiers, par contre, avaient une "cause",
une dent contre l'évolution des moeurs en quelque sorte. Un peu à la manière
d'Anders Behring Breivik en Norvège, nous comptons au Québec trois cas notoires
d'hommes qui ont vengé, à coups de sang, ce qu'ils considéraient comme des
politiques inacceptables: Lépine s'en est pris au mouvement des femmes, Lortie
et Bain au mouvement souverainiste.
Bien sûr qu'il y a ici un problème de santé
mentale, plus manifeste encore chez Bain que ses deux prédecesseurs. Mais cela
n'enlève rien au fait que ces trois hommes, contrairement aux fous furieux
d'usage, ont épinglé leur malheur sur le dos d'une question très précise, voire
très importante pour une majorité de citoyens. Bref, il y a une motivation sociale
derrière leur folie furieuse.
Pourquoi trois fois en moins de 30 ans?
Même aux États-Unis, champion mondial des tueries de masse, les causes sont
rarement aussi pointues. Et pourquoi ici et non ailleurs au Canada?
La question indispose, c'est sûr. À ce que
je sache, elle n'a été posée qu'une seule fois publiquement, par
l'ex-journaliste vedette du Globe and Mail, Jan Wong, qui d'ailleurs l'a payée
très cher, perdant sa chronique peu de temps après, pas tant pour la question
qu'elle posait que pour sa réponse. Originaire de Montréal et de descendance
chinoise, écrivant après la fusillade perpétrée par Kimveer Gill au collège
Dawson, Mme Wong expliquait nos tueries à répétition par le manque
d'intégration des immigrants. Le débat linguistique, selon elle,
marginaliserait les nouveaux arrivants au Québec davantage qu'ailleurs au
Canada.
L'analyse était boiteuse du fait que des
cinq hommes, seulement un, Valéry Fabrikant, est véritablement immigrant. Malgré
son nom indien, Kimveer Gill est né à Lachine. Marc Lépine, lui, a beau être de
père Algérien, il vivait, parlait et se comportait comme un Québécois. Mais si la
réponse sentait trop le règlement de compte d'une Canadian vis-à-vis le Québec, la question, elle, demeure entière,
surtout apès ce qui vient de se passer au Metropolis cette semaine.
Pourquoi un tel cauchemar se répète-t-il au
Québec où on ne compte ni plus de violence, ni plus de fous qu'ailleurs?
Pourquoi, en plus, semble-t-il y avoir une convergence de motifs: la question
de la place des femmes et la question nationale?
Il est évidemment trop tôt pour savoir ce
qui motivait Richard Henry Bain. Qui ou quoi visait-il exactement? Mais, devant
l'horreur qui se répète, on ne pourra pas éternellement éviter de se poser la
question de la spécificité québécoise.
Pour ma part, je ne crois pas que le Québec
soit plus macho, moins prêt à accueillir des femmes ingénieures ou une femme
Premier ministre, qu'ailleurs. Encore moins, plus violent ou plus fou. Mais
plus passionné, plus politisé, plus investi dans le "corps social",
plus tissé serré du fait de notre petit nombre et notre histoire tumultueuse...
ça oui.
Le sentiment de famille qui s'est développé
ici comme conséquence d'avoir survécu à 400 ans de domination anglaise (merveilleux
à vivre quand on se trouve du "bon côté") veut aussi dire que le
sentiment d'exclusion peut être plus aigu qu'ailleurs, plus dur à vivre. Qu'il
s'agisse des anglos vis-à-vis des francos, ou des hommes vis-à-vis des femmes.
Le Québec est le seul endroit en Amérique
du nord où l'on revit constamment, bien qu'en miniature, le conflit d'origine
qui donna naissance au pays. Culturellement, cette tension perpétuelle donne
d'extraordinaires résultats. Politiquement?... les résultats sont moins
probants.
Ce dénouement macabre des dernières
élections a quand même un aspect positif --du moins, pour Pauline Marois et sa
"gouvernance souverainiste". La PM retrouve un capital de sympathie
que les résultats peu reluisants du 4 septembre ne lui permettaient pas
d'espérer. La voilà un peu mieux lancée dans cette grande aventure. Encore faut-il
que ça dure.
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