Pauvre Isabelle Brais. La femme de François Legault est
forcée, depuis quelques jours, de battre le trottoir aux côtés de son aspirant Premier ministre de mari. Politique
oblige.
«Aujourd'hui, je suis presque obligée d'être à
ses côtés», a-t-elle confié à la Presse canadienne. Obligée de faire une Michou
ou une Ann Romney d'elle-même, c'est-à-dire de se plier au douteux jeu
politique qui consiste à sortir les épouses du placard afin "d'arrondir
les angles" de leur pas-très-douce moitié.
Un peu insultant pour la gent féminine,
c'est sûr. À voir l'air crispé de Mme Brais sur les photos, on soupçonne qu'elle
le pense aussi. Après tout, on n'est plus aux temps où la politique était la
chasse gardée d'hommes blancs hétéros de classe moyenne devant prouver leur "métal"
en brandissant la légitime épouse. L'équivalent de tirer un lapin d'un chapeau,
l'apparition de la "petite dame" (toujours visiblement admirative de
son homme) était le signal magique que le politicien devant vous avait 1- une vie sexuelle
"normale" 2- un
coeur 3- une famille. Du bon
stock, quoi.
Nous ne sommes plus au temps où l'univers
des femmes était essentiellement affectif et ceux des hommes se résumait à
celui du travail, mais à voir la prestation très attendue d'Ann Romney, épouse
du candidat républicain à la présidence, on pourrait s'y méprendre.
"Tonight, I want to talk to you about
love", a déclaré Mme Romney devant la convention républicaine. Non
seulement ça suintait les bons sentiments, Mme Romney, qui a consacré sa vie à
élever sa famille (5 enfants, 18 petits-enfants), n'a pas tant "humanisé"
son Mitt que ramené les bons vieux stéréotypes qui nous ont longtemps
encarcanés. Femme = courage et émotion. Homme = force et intellect. Femme =
second plan. Homme = premier plan.
La suivant au podium, le gouverneur du New
Jersey, Chris Christie, a vite fait de montrer de quel bois il se chauffe, lui:
"Je crois que nous nous laissons paralyser par notre besoin d'être aimés",
a-t-il dit. Et v'lan dans les gencives.
Comme démonstration de la faiblesse, pour
ne pas dire l'ineptitude, de l'univers féminin (que venait d'étaler à grand
renfort d'accordéon, Ann Romney), c'est
dur à battre. So much for love, et les femmes de politiciens jouant les âmes
romantiques.
Comment se fait-il qu'on en est encore là?
À exiger des femmes de politiciens qu'elles jouent les chiens de faïence alors
que les maris de politiciennes, eux, brillent par leur absence? On aperçoit
bien de temps en temps un Claude Blanchet, mari de Pauline Marois, à ses côtés,
mais il n'est pas envoyé en commando pour masculiniser ou "dés-humaniser"
l'aspirante Première ministre. Faut dire que Mme Marois est suffisamment tough comme c'est là.
Ce qui m'amène au coeur du sujet: la
transexuelisation de la politique.
La politique est plus compliquée à gérer
aujourd'hui du fait qu'on y retrouve des femmes aussi bien que des hommes. L'électorat
est, par conséquent, lui aussi plus complexe.
La présence des femmes veut dire que les
hommes politiciens ne peuvent plus se contenter d'étaler leur gentille épouse,
au moment approprié, afin de passer le test de l'homme "complet". Les
femmes --qui ont désormais, non seulement le droit de voter, mais leurs propres
opinions et priorités-- doivent pouvoir s'identifier au politicien en question.
N'en déplaise à François Legault, ça n'a rien à voir avec "la peur du
changement". Ça à voir avec ne pas aimer ce que propose le gars au podium (ou
encore, la face du gars).
A venir jusqu'à maintenant, les politiciens n'ont trouvé rien de mieux pour séduire l'électorat féminin que de
s'enrubaner de leur légitime épouse, peu importe (comble de mauvais
télé-théâtre) s'ils ne vivent plus ensemble. Ce serait le cas, veut la rumeur,
d'un certain Premier ministre très en vue ces temps-ci.
Les femmes qui se présentent en politique
n'ont pas la partie facile pour autant. Bien qu'elles attirent une certaine
sympathie chez l'électorat féminin, elles ont besoin que les hommes les prennent
au sérieux, en commençant par l'establishment politique auquel elles aspirent. La
politique, comme le génie et la physique nucléaire, demeure un monde d'hommes.
Elles doivent non seulement plaire à l'électorat (d'abord masculin mais les
femmes sont à convaincre aussi), elles doivent constamment prouver qu'elles
méritent de prendre la place d'un homme.
Peu surprenant, alors, que les pionnières
politiques (Indira Ghandi, Golda Meir, Margaret Thatcher, Lise Payette, Lise
Bacon, Hillary Clinton, Pauline Marois, Manon Massé...) soient un peu, assez,
beaucoup masculines. Dans leurs cas, ça ne prend pas juste de l'ambition, ça
prend un front de boeuf pour atteindre le podium. Le problème, c'est que ça ne
donne pas toujours de bons résultats.
Prenons Pauline Marois, la femme qui
voudrait devenir, d'ici quelques jours, première Première ministre du Québec.
Comme le souligne le portrait d'elle dans l'Actualité, il y a un décalage entre
la Marois au naturel et la Marois sous les feux de la rampe. En plus de ne pas
être capable de se faire une idée rapidement (pas nécessairement un problème féminin),
Mme Marois a tendance à se betonner pour mieux affronter la meute. Bref, elle
en met trop. Elle apparaît plus dure, chicaneuse et agressive qu'elle l'est
réellement. Tout ça la dessert énormément.
Alors que les hommes politiques ne sentent
pas du tout qu'ils ont a changé de personnalité pour mieux séduire l'électorat
(féminin ou autre), beaucoup de politiciennes, surtout plus vieilles, plus
enclines à douter (comme Pauline Marois) d'elles-mêmes, font de la surenchère
de peur d'avoir l'air trop molle, faible, voire d'une femme. Le problème c'est
que, loin d'augmenter leur capital de crédibilité et de sympathie, cette transformation,
toute inconsciente qu'elle soit, leur en enlève.
A mon avis, le problème "transgenre"
de Pauline Marois est malheureusement une des raisons pour lesquelles elle
n'obtiendra pas la majorité qu'elle souhaite, lundi prochain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire