mercredi 6 juin 2012

A poil pour le Grand Prix



Admettez que ça fait du bien de voir autre chose que des corps sculptés au couteau ou des filles sorties tout droit du catalogue La Senza. Je parle des maNUfestations et ses ribambelles de gars en bobettes et filles aux seins sciemment étiquetés de carrés rouges.

Avez-vous remarqué qu'il y a très peu de corps parfaits parmi eux? Jusqu'à l'écrivain Jean Barbe qui osait promener sa bédaine de baby boomer (sa bbb?) au centre-ville de Montréal récemment. Dans le grand chaudron des revendications portées par le conflit étudiant--l'éducation, l'éthique, la gouvernance, l'environnement, la culture-- faudra-t-il bientôt y ajouter l'image corporelle?

Bien sûr, ceux qui ne voient que des bébés lala dans tout ça seront peu impressionnés par la grande maNUfestation prévue pour l'ouverture du Grand Prix de Montéal. Mais ils devraient au contraire applaudir. D'abord, "on marche plus vite tout nu", me dit une des organisatrices de l'événement, une étudiante en arts à l'UQAM. Pour ceux qui n'ont que faire du brasse camarade, réjouissez-vous, les perturbations au centre-ville seront écourtées. Ensuite, les casseurs de vitres comme les tireurs de gaz lacrymogènes se tiennent étonnamment cois lors de ces processions dénudées. Ils ont la tête ailleurs, faut croire.

Un peu comme l'ineffable Anarchopanda, le nouveau héros du printemps québécois, les maNUfestations ont l'art de détourner la colère en bonne humeur, l'agressivité en tendres oeillades, le négatif en positif. Amenez-en des oursons et des seins nus; c'est plein de santé mental.

Et à ceux/celles qui disent que ces manifs sont sexistes ---"il y a tout un débat là-dessus dans les médias sociaux", poursuit l'étudiante-- elles me semblent, au contraire, très féministes.  D'abord, le Grand Prix, pour ceux qui auraient réussi à ignorer complètement l'événement au cours des 34 dernières années, c'est la consécration des vieux stéréotypes. D'un côté, les gars, les muscles et les bolides supersoniques; de l'autre, les filles, les gros seins et le minaudage.

"Je m'appelle Shannon, je suis anglophone, anglophone cochonne", précise une jeune femme interviewée lors de l'événement. La séquence intitulée "La Formule 1 à Montréal avec les jolies filles du Hooters" est sur Youtube. Hooters, qui veut dire nichons, est une chaîne de restos où les seins des serveuses sont l'attraction principale.

La maNUfestation anti-Grand Prix est un antidote bienvenu à cette orgie de niaiseries. En fait, de tout ce dont le GP est coupable, selon les étudiants, "le capitalisme, l'élitisme et le sexisme", ce dernier est le plus sûrement dénoncé par ce genre de protestation. Pour ce qui est du capitalisme, cibler les grandes banques et leurs profits mirobolants viserait encore plus juste, il me semble, tout comme viser le domaine Sagard des seigneurs Desmarais, pour ce qui est de l'élitisme.

Je ne sais plus qui disait que ce penchant pour le dénuement était ce qui rapproche le plus le conflit étudiant de Mai 68. On peut effectivement voir des affinités entre les démonstrations libertaires d'antan et celles d'aujourd'hui. Mais comme le notait pertinemment Christian Rioux dans Le Devoir, les revendications étudiantes aujourd'hui sont autrement plus consistantes que celles d'il y a 45 ans.

"Le mouvement étudiant québécois ne réclame pas plus de liberté individuelle, mais plus d’État. Il ne veut pas moins d’université, mais plus d’éducation. Il ne veut pas plus d’individualisme, mais plus de « nous »." http://www.ledevoir.com/societe/education/351436/mai-68

On pourrait ajouter: il ne veut pas juste des filles toutes nues, il veut des gars aussi. (En 68, la libération sexuelle, on le sait, était pas tout à fait "égale"). C'est d'ailleurs ce qu'il y a de plus réjouissant des maNUfestations: les gars sont au rendez-vous (presque) autant que les filles. Et les filles, elles, semblent dire: au diable, le sein parfaitement bombé, les talons aiguilles, la fesse ronde à souhait... Prenez-nous comme on est.

Raison de plus d'applaudir.

1 commentaire:

  1. Merci pour ce bel article. Je suis d'accord avec vous. Il y a 4 ou 5 mois je m'inquiétais principalement de Harper.
    Le problême que nous avons, n'est peut-être pas seulement de sentir Ottawa éloigné, mais aussi que cela n'aura pas d'effet que nous manifestions, si les québécois sont les seuls à le faire.

    Je suis TRÈS étonnée de ce passage de votre texte
    «pour ne rien dire des femmes ministres, dont Charest était pourtant si fier de s'entourer, qui disent des énormités l'une après l'autre»...
    Je ne réussis pas à m'expliquer pourquoi vous «qualifiez» leur état de femme dans cette remarque. Fournier, Bachand et Charest--non-femmes--à ce que je sache, on fait leur part. Oui, certains se diront que ce sont des femmes etc....mais c'est cela l'égalité: découvrir qu'on peut être aussi stupide que le dominant, et y avoir droit autant aussi ! Mais si vous le remarquez, et vous attendez à quelque chose de différent, c'est que nous ne sommes pas encore dans l'égalité.
    C'est vraiment le phénomène extraordinaire de Charest: il a été le premier en Amérique du Nord à composer son cabinet moitié hommes moité femmes. Et de cela, il peut encore être fier. Même si ce ne sera que la seule chose dont il ne devrait pas avoir Honte...
    Johanne Gour

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