Pas un jour qui passe sans que le bilan des
politiques harperiennes ne s'alourdisse. Le projet de loi omnibus (C-38) est la
dernière salve d'une offensive tous azimuts pour remodeler le Canada en pays
beaucoup, beaucoup plus conservateur. C'est énorme ce qui se passe, à l'instar
du bill fourre-tout lui-même.
Et pourtant, mises à part quelques voix
dans le désert (Hélène Buzetti et Manon Cornellier du Devoir) et, bien sûr, l'opposition officielle à Ottawa, c'est comme
si de rien n'était. On ne sent pas tellement la grogne, encore moins des
couvercles de marmite sur le point de sauter, comme c'est le cas, ici, au pays
du printemps perpétuel.
Quand même incroyable que la hausse des
frais de scolarité, un sujet pour qui peu de gens étaient prêts à déchirer leur
chemise, encore récemment, ait mis le feu aux poudres au Québec alors qu'à
Ottawa, des propositions beaucoup plus radicales passent comme sur le dos d'un
canard. Quand même surprenant que c'est Charest qu'on se lève la nuit pour haïr
alors que le vrai diable, la pire menace est bien davantage du côté de Harper (affectueusement surnommé
'Hair in the fridge' au Canada anglais.) Faisons le calcul, juste pour voir...
Dans la colonne de droite, c'est-à-dire le
gouvernement conservateur: complicité en matière de torture, détention
d'enfants soldats, fraude électorale, transgression des règles parlementaires,
rejet d'ententes internationales sur l'environnement, abolition de mesures de
protection environnementale, abolition de contrôles de sécurité en matière
alimentaire, abolition de mesures de protection des pêcheries, abolition de
prises de données scientifiques (à Statistiques Canada et ailleurs), abolition
du registre des armes à feu, augmentation de la répression policière (lors du
G20 à Toronto), coupures radicales à trois institutions culurelles parmi les
plus importantes au pays (Téléfilm, ONF, Radio-Canada), coupures massives également
dans l'aide internationale, aux groupes des femmes, environnementaux,
culturels... Et j'en passe.
Même en ajoutant les abominations de la loi
78 --restriction du droit d'association, d'assemblée et d'expression,
augmentation de la répression policière-- et, bien sûr, la collusion avec les
Tony Accurso de ce monde ainsi que la vente à rabais de nos richesses
naturelles, le gouvernement Charest n'arrive pas vraiment à la cheville. C'est
pas beau ce qui se passe à Québec, le néolibéralisme (et son mantra
utilisateur-payeur) nous emmerde, pour ne rien dire des femmes ministres, dont
Charest était pourtant si fier de s'entourer, qui disent des énormités l'une
après l'autre.
Le discours politique est au ras les
paquerettes, c'est sûr, et certaines pratiques laissent pantois, mais comparés
aux violations du droit international, des règles parlementaires et du
processus démocratique, violations à répétition depuis six ans, Charest, mesuré
à son homologue fédéral, fait figure de dictateur en culottes courtes.
La question à 60,000$: qu'est-ce que ça va
prendre pour allumer le brasier anti-Harper?
Il est toujours plus difficile de se
mobiliser contre Ottawa, qui parait plus distant et qui, selon les sondages,
est vu de plus en plus comme un autre pays, du moins par les plus jeunes. Et
puis, les grandes causes qui jusqu'ici ont poussé les gens dans la rue,
l'éducation, la langue, les conflits de travail... sont des questions essentiellement
québécoises. Il n'y a que l'avortement qui fait exception. On se surprend donc à
espérer que Stephen Harper devienne aussi obtus que Jean Charest. C'est ça, au
fond, l'ingrédient #1 au soulèvement populaire: le fait que le PM québécois
soit totalement bouché à l'humeur populaire.
Il y a d'autres raisons, bien sûr, en
commençant par la notion d'éducation accessible à tous, la pierre de touche du
Québec moderne, la résistance et intelligence du mouvement étudiant actuel,
l'insastifaction profonde de bon nombre de gens "ordinaires"
vis-à-vis non seulement le gouvernement Charest mais l'humeur du temps. On
oublie de dire trop souvent combien nos vies ont ratatiné depuis 20 ans. Pas
seulement nos salaires (mais, dieu sait, ça aussi), aussi l'impression de faire
partie d'un destin collectif qui nous emballe.
Revenons à Jean Charest. S'il s'était assis
avec les étudiants d'entrée de jeu, reconnu leur détermination, admis qu'ils
avaient quand même quelques bons arguments, on n'en serait pas venu aux
concerts de casseroles et 300,000 dans les rues. Rencontrés cette semaine, des
étudiants de l'UQAM impliqués dans l'école de la Montagne Rouge, l'extraordinaire
mouvement de graphistes au coeur de la grève, avouaient qu'au moment de
déclencher la grève en février, ils ne pensaient jamais se rendre jusqu'à la
fin avril. Il est clair aussi que leur conscience comme leur détermination se
sont élargies et approfondies au fur et à mesure que le conflit pourrissait.
La crise sociale que nous connaissons est
un édifice qui s'est construit brique par brique. Difficile de voir comment
tout ça pourrait se transférer à Ottawa, d'autant plus que l'homme aux cheveux
de carton, lui, est assez doué pour tâter le pouls de l'électorat. En même
temps, il est, comme Charest, très très têtu.
On peut toujours rêver.