Donc, c'est un échec. La loi 78 ne marquera
pas de pause, ne règlera pas la crise et ne marquera même pas de points de
sympathie pour le gouvernement Charest. Les dénonciations ici comme ailleurs, à
droite comme à gauche, ont vite fait de sceller le sort de cette mesure
d'exception, exceptionnellement mal conçue. Jusqu'au ministre de la Sécurité
publique, Robert Dutil, qui semble souhaiter que la Cour renvoie le
gouvernement à ses devoirs.
Surtout, la manifestation monstre du 22
mai, énorme pied de nez à la nouvelle loi, aura établi les lettres de noblesse
de la désobeissance civile. Le gouvernement libéral tente depuis des mois de
délégitimer le mouvement étudiant en l'associant au vandalisme et aux têtes
brulées pour finalement se buter le nez sur une joyeuse marée de 250,000
personnes de bonne humeur, pas du tout casseuses de party, mais capables de se
tenir debout.
Encore la veille, le bâtonnier du Québec,
qui nous avait surpris avec sa dénonciation de la loi 78, nous surprenait à
nouveau avec sa dénonciation en règle de la désobeissance civile.
"Complètement inacceptable dans un état de droit," dit Me Masson. Même
Gilles Duceppe a senti le besoin de s'en dissocier en précisant qu'on n'était
pas en "Afrique du sud ou dans l'Inde de Ghandi"
Et alors? Rosa Parks qui a refusé de donner son siège à un homme blanc,
en 1955 en Alabama, vivait dans un pays qui, dans les années d'après-guerre
notamment, faisait l'envie du monde. Les suffragettes, qui se sont enchainées
aux grilles du Palais de Buckingham au tournant du siècle dernier, vivaient
dans le pays qui a inventé l'état de droit. Le Dr. Henry Morgentaler qui a
pratiqué des milliers d'avortements clandestins avant la décriminalisation en 1988,
vivait au Québec, l'endroit le plus progressiste en Amérique.
Le mouvement des femmes au Québec s'est
bâti précisément sur le contournement de la loi interdisant l'avortement. Comme
bien d'autres féministes à l'époque, j'ai aidé des femmes à avorter dans la
plus parfaite illégalité. Arrêtez-moi quelqu'un.
Il y a parfois des gestes plus dignes de
respect, certainement plus courageux, que de simplement faire les génuflexions
d'usage devant la primauté du droit. On comprend, bien sûr, le besoin de juristes
et politiciens de réitérer leur attachement aux règlements démocratiques
puisque leur pain et beurre en dépend. Le problème c'est que la démocratie ne
se conjugue pas uniquement du côté des lois. Elle se mesure tout autant et
parfois davantage du côté de la dissension. Pouvoir s'opposer à ce qui nous
paraît injuste est tout aussi fondamental, et passablement plus compliqué, que
d'aller voter.
Ce qui ne veut pas dire accepter les
dérapages et les agents provocateurs sans broncher. Des manifestants noctures
ont d'ailleurs commencé à s'y opposer et c'est tant mieux. On souhaiterait
maintenant que la police cible un peu mieux ce monde-là et un peu moins les
innocents. C'est quand même un peu suspect, non, sur tant de gens arrêtés,
qu'ils n'aient pas encore mis la main sur les vrais coupables?...
Entretemps, j'en ai marre de constater
toute la nervosité qui persiste autour de la question de désobeissance civile.
Car, veut veut pas, c'est faire le jeu de Jean Charest; c'est laisser croire
que les dérapages sont tout d'un côté, celui des étudiants, et passer l'éponge
sur ceux, pourtant nombreux, du gouvernement.
Comme dirait Pierre Falardeau, on va
toujours trop loin pour ceux qui vont nulle part.
Entre le spectacle d'un gouvernement qui ne
cesse d'improviser, prêt à sacrifier des droits fondamentaux pour assurer sa
propre ré-élection, coupable de collusion et de passe-droits à répétition, et
celui d'un légitime mouvement citoyen --il est clair que la colère nest plus
uniquement celle des étudiants-- brandissant poêle à frire et pancartes
assassines (Charest décrisse/ Fais donc
comme ta ministre), il me semble que le choix est clair.
Le gouvernement n'a plus d'autre option maintenant
que de s'asseoir et de négocier. De bonne foi, cette fois.
twitter: fpelletier1
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