"Y
a-t-il quelqu'un qui a déjà défini c'est quoi la culture?"
La
question est du rédacteur en chef, Alain Rochette, de Summum et Summum Girls,
deux magazines à saveur érotique produits au Québec et généreusement
subventionnés par le gouvernement fédéral. Interrogé à Radio-Canada, M.
Rochette tentait de faire taire la critique suite aux révélations que ses deux
publications reçoivent un total de 190,000$ par an, alors qu'au même ministère,
on vient de fermer le robinet aux grandes entreprises culturelles que sont
l'ONF, Téléfilm et Radio-Canada.
C'est
quoi la culture?... 'Huit choses qui dérangent au lit'? (Summum - le magazine #1 pour hommes au Québec) 'Célibataires Hot 2012'?
(Summum Girls - le magazine de la femme
qui ose). Peut-être bien. La culture c'est pour moi la représentation de
qui nous sommes, de tout ce qui nous distingue comme entité socio-politico-géographique,
que ce soit par la poésie, la politique ou la sexualité.
Si au
Québec on est plus "dérangé au lit" qu'ailleurs, alors c'est un phénomène
culturel. Si on ne l'est pas, alors c'est de la surenchère de gros titres.
Mais
Alain Rochette sait très bien que ce n'est pas son apport au patrimoine
culturel qui le voit ainsi recompensé. C'est le fait, d'abord, d'être un
magazine à contenu canadien. Il suffit que les beaux muscles ou les gros seins
soient de chaire canadienne (à 80%) et, bingo, le gouvernement canadien is on your side. Mais, surtout, c'est le
fait d'être rentable.
En
2007, peu de temps après s'être installé à Ottawa, le gouvernement Harper a
"restructuré" l'aide aux périodiques en coupant certaines subventions
aux magazines culturels. Dorénavant, cette aide va aux magazines dont la
circulation est de 5000 ou plus. Autant dire les revues automobiles,
musculation, décoration, jardinage et, bien sûr "à contenu glamour et
sexy", pour citer Alain Rochette à nouveau.
Malgré
leur travail de reconaissance des arts et de la littérature, les périodiques
culturels québécois comme Nuit Blanche, Jeu, 24 Images, XYZ et bien d'autres,
ont été les premiers touchés par cette mesure, ne pouvant satisfaire le critère
de ventes. Ça donne une peitite idée de ce que le ministère du Patrimoine
canadien considère comme culturellement valable.
"All
I need is right here", a déjà dit le ministre James Moore, indiquant son téléphone
cellulaire devant une assemblée de producteurs et réalisateurs de films.
Traduction: il faut que ce soit facilement accessible, pas compliqué, court,
divertissant, commercial.
Pas
exactement ce qu'on veut attendre quand on a passé deux à trois ans à réaliser
un (long) documentaire sur l'expropriation des habitants de Malartic par les
minières ou encore, l'histoire du Musée des Beaux-Arts de Montréal. Mais ça le
mérite d'être clair. Le ministre à beau pavoiser à Tout le monde en parle de son engagement face à la culture, les récentes
coupures de 10% à l'ONF, Téléfilm et Radio-Canada sont un affront brutal à la
culture, en commençant par les films documentaires qui sont ici particulièrement
visés.
Les coupures
aux organismes culturels existaient avant l'arrivée des Conservateurs, me
direz-vous, mais il y a des différences notoires avec le passé. D'abord, rien
dans les finances publiques n'exigeait à ce moment-ci des coupures aussi draconiennes.
Deuxièment, les coupures étalées sur trois ans concordent avec la date des
prochaines élections. En d'autres mots, dans l'éventualité qu'il ne serait pas
ré-élu, Harper a l'intention d'affaiblir ces institutions culturelles au
maximum.
Comme
avec les périodiques, le gouvernement conservateur est obnubilé par la
rentabilité. Le ministre Moore l'a fait fait clairement comprendre aux
producteurs et réalisateurs de documentaire: montrez-nous que vous pouvez
vous-mêmes financer une partie de vos projets et ensuite, on sera mieux disposé
à vous aider.
C'est
un virage à 90 degrés de la politique culturelle de ce pays. Comme la plupart
des pays Européens, et contrairement aux Etats-Unis, on considère ici que c'est
un travail essentiel de l'Etat que de subventionner les arts et la culture. Au
Québec, c'est une mission quasi sacrée puisqu'une question de survie du Québec
comme tel. Les produits culturels ne sont pas une marchandise comme une autre puisque,
contrairement aux magazines érotiques, leur valeur ne réside pas dans leur attrait
commercial mais dans leur capacité de représentation de la réalité.
La
bonne nouvelle? Après les étudiants et environnementalistes, les scénaristes, réalisateurs
et producteurs de films québécois sont sur le pied de guerre pour éxiger, à
leur tour, le respect du bien commun. Nous étions 100 réunis d'urgence, la
semaine dernière, en réaction aux coupures annoncées. C'est d'ailleurs le cinéaste
Denys Desjardins qui a découvert, en épluchant les allocations culturelles du
dernier budget fédéral, le pot aux roses des gros seins canadiens.
Le mépris
n'aura qu'un temps, disaient les féministes dans les années 70. Le mépris, en
fait, est revenu de plus belle mais, heureusement, de plus en plus de Québécois
s'insurgent. A nous, maintenant, de convaincre le ROC (Rest of Canada) d'en
faire autant.
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